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La Mort et Un Chien
Fiona Grace


LA MORT ET UN CHIEN (Un Roman Policier de Lacey Doyle – Tome 2) est le second livre de la nouvelle série d’enquêtes par Fiona Grace.Lacey Doyle, 39 ans et fraîchement divorcée, a opéré un changement drastique : elle a délaissé la vie trépidante de New York et s’est installée dans la pittoresque ville côtière anglaise de Wilfordshire.Le printemps est dans l’air. Avec le meurtre du mois précédent derrière elle, un nouveau meilleur ami en la personne de son collie anglais, et une relation naissante avec le chef de l’autre côté de la rue, tout semble enfin trouver sa place. Lacey est tellement excitée par sa première vente aux enchères, surtout quand un mystérieux objet de valeur fait son entrée dans son catalogue.Tout semble se dérouler sans accrocs, jusqu’à ce que deux mystérieux acheteurs arrivent, étrangers à la ville – et que l’un d’eux est retrouvé mort.Avec le petit village plongé dans le chaos, et la réputation de son affaire en jeu, Lacey et son fidèle compagnon canin pourront-ils résoudre ce crime et laver leur nom ?Le tome 3 de la série – CRIME AU CAFE – est aussi disponible en précommande !







LA MORT ET UN CHIEN



(Un Roman Policier de Lacey Doyle – Tome 2)



FIONA GRACE


Fiona Grace



Fiona Grace est une jeune écrivaine, auteure de la série "LES ROMANS POLICIERS DE LACEY DOYLE" comprenant MEURTRE AU MANOIR (tome 1), LA MORT ET LE CHIEN (tome 2) et CRIME AU CAFÉ (tome 3). Fiona attend vos impressions avec impatience ! Rendez-vous sur www.fionagraceauthor.com (http://www.fionagraceauthor.com) : recevez des livres électroniques gratuits, soyez au courant des dernières parutions, restons en contact !






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Copyright © 2019 par Fiona Grace. Tous droits réservés. Sauf dérogations autorisées par la Loi des États-Unis sur le droit d’auteur de 1976, aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, distribuée ou transmise sous quelque forme que ce soit ou par quelque moyen que ce soit, ou stockée dans une base de données ou système de récupération, sans l’autorisation préalable de l’auteur. Ce livre électronique est réservé sous licence à votre seule jouissance personnelle. Ce livre électronique ne saurait être revendu ou offert à d’autres personnes. Si vous voulez partager ce livre avec une tierce personne, veuillez en acheter un exemplaire supplémentaire par destinataire. Si vous lisez ce livre sans l’avoir acheté, ou s’il n’a pas été acheté pour votre seule utilisation personnelle, vous êtes priés de le renvoyer et d’acheter votre exemplaire personnel. Merci de respecter le travail difficile de l’auteur. Il s’agit d’une œuvre de fiction. Les noms, les personnages, les entreprises, les organisations, les lieux, les évènements et les incidents sont le fruit de l’imagination de l’auteur ou sont utilisés dans un but fictionnel. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou mortes, n’est que pure coïncidence. Image de couverture : Copyright Helen Hotson, utilisé en vertu d’une licence accordée par Shutterstock.com.


DU MГЉME AUTEUR



LES ROMANS POLICIERS DE LACEY DOYLE

MEURTRE AU MANOIR (Tome 1)

LA MORT ET LE CHIEN (Tome 2)

CRIME AU CAFÉ (Tome 3)


TABLE DES MATIГ€RES



CHAPITRE UN (#ua3fd6701-831f-57ea-82e9-db399bd1258f)

CHAPITRE DEUX (#u32c4665a-109b-58ac-a0fe-13feb491cd13)

CHAPITRE TROIS (#u48b19269-7f81-5005-8ade-6afe4a52f3c9)

CHAPITRE QUATRE (#u9c384b15-a9b7-56b7-9666-95fc036ce581)

CHAPITRE CINQ (#litres_trial_promo)

CHAPITRE SIX (#litres_trial_promo)

CHAPITRE SEPT (#litres_trial_promo)

CHAPITRE HUIT (#litres_trial_promo)

CHAPITRE NEUF (#litres_trial_promo)

CHAPITRE DIX (#litres_trial_promo)

CHAPITRE ONZE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE DOUZE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE TREIZE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE QUATORZE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE QUINZE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE SEIZE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE DIX-SEPT (#litres_trial_promo)

CHAPITRE DIX-HUIT (#litres_trial_promo)

CHAPITRE DIX-NEUF (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT ET UN (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-DEUX (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-TROIS (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-QUATRE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-CINQ (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-SIX (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-SEPT (#litres_trial_promo)

Г‰PILOGUE (#litres_trial_promo)




CHAPITRE UN


La clochette au-dessus de la porte tinta. Lacey leva les yeux et vit qu’un vieil homme était entré dans son magasin d’antiquités. Il était vêtu comme un gentleman-farmer, ce qui aurait semblé étrange dans l’ancienne maison de Lacey, à New York, mais ici, dans la ville balnéaire de Wilfordshire, en Angleterre, il n’était qu’un autre des locaux. Seulement, Lacey ne le reconnut pas comme c’était le cas maintenant pour la plupart des habitants de la petite ville. Son expression déconcertée lui fit se demander s’il s’était perdu.

Réalisant qu’il avait peut-être besoin d’aide, elle couvrit rapidement le téléphone qu’elle tenait – en pleine conversation avec la SPA – et lui dit, depuis le comptoir :

— Je suis à vous dans une seconde. Il faut juste que je finisse avec cet appel.

L’homme ne parut pas l’entendre. Son attention était fixée sur une étagère remplie de figurines en cristal mat.

Lacey savait qu’elle devait accélérer sa conversation avec la SPA pour pouvoir s’occuper de ce client à l’air confus, aussi retira-t-elle sa main du micro.

— Pardon. Pourriez-vous répéter ce que vous disiez ?

La voix à l’autre bout était masculine, et il semblait fatigué quand il soupira :

— Ce que je disais, Miss Doyle, c’est que je ne peux pas donner de détails sur les membres du personnel. C’est pour des raisons de sécurité. Vous comprenez sûrement ?

Lacey avait déjà entendu tout ça. Elle avait d’abord appelé la SPA pour adopter officiellement Chester, le colley anglais qui était plus ou moins inclus avec le magasin d’antiquités qu’elle louait (ses anciens propriétaires, qui avaient loué le magasin avant elle, étaient morts dans un tragique accident, et Chester avait erré jusqu’à chez lui). Mais elle avait eu le choc de sa vie lorsque la femme à l’autre bout de la ligne lui avait demandé si elle avait un lien de parenté avec Frank Doyle – le père qui l’avait abandonnée à l’âge de sept ans. Leur appel avait été coupé, et elle rappelait tous les jours depuis pour retrouver la femme à qui elle avait parlé. Mais il s’était avéré que tous les appels étaient maintenant dirigés vers un centre d’appel central situé dans la ville proche d’Exeter, et Lacey n’avait jamais pu retrouver la femme qui avait d’une certaine façon connu son père de nom.

Lacey serra la main sur le combinГ© et lutta pour conserver une voix ferme.

— Oui, je comprends que vous ne puissiez pas me dire son nom. Mais ne pouvez-vous pas me transférer vers elle ?

— Non, madame, répondit le jeune homme. Au-delà du fait que je ne sais pas qui est cette femme, nous avons un système de centre d’appel. Les appels sont répartis au hasard. Tout ce que je peux faire – et que j’ai déjà fait – c’est mettre un avis sur notre système avec vos coordonnées. Il commençait à avoir l’air exaspéré.

— Mais si elle ne voit pas l’avis ?

— C’est une forte possibilité. Nous avons des tonnes d’employés qui travaillent bénévolement de façon ponctuelle. La personne avec qui vous avez parlé avant n’est peut-être même pas revenue au bureau depuis l’appel initial.

Lacey avait déjà entendu ces paroles auparavant, aussi, des nombreux appels qu’elle avait passés, mais chaque fois elle priait pour un résultat différent. Elle semblait fortement irriter le personnel du centre d’appel.

— Mais si elle était bénévole, cela ne veut-il pas dire qu’elle ne reviendra peut-être plus jamais ? demanda Lacey.

— Bien sûr. Il y a une chance. Mais je ne sais pas ce que vous vouliez que je fasse pour ça.

Lacey avait Г©tГ© assez amadouГ©e pour la journГ©e. Elle soupira et admit sa dГ©faite.

— OK, merci quand même.

Elle reposa le téléphone, et sa poitrine se serra. Mais elle n’allait pas s’attarder dessus. Ses tentatives pour trouver des informations sur son père semblaient lui faire faire deux pas en avant, un pas et demi en arrière, et elle commençait à s’habituer aux impasses et aux déceptions. De plus, elle devait s’occuper d’un client, et son magasin bien-aimé avait toujours la priorité dans l’esprit de Lacey, par-dessus tout.

Depuis que les deux inspecteurs de police, Karl Turner et Beth Lewis, avaient publié leur avis officiel pour dire qu’elle n’avait rien à voir avec le meurtre d’Iris Archer – et qu’elle les avait effectivement aidés à résoudre l’affaire – le magasin de Lacey avait rebondi. Maintenant, il était florissant, avec un flux constant de clients quotidiens composés de locaux et de touristes. Lacey avait maintenant assez de revenus pour acheter Crag Cottage (ce qu’elle était en train de négocier avec Ivan Parry, son propriétaire actuel), et elle avait même assez pour payer Gina, sa voisine et amie proche, pour des heures de travail à mi-temps. Non pas que Lacey prenne des pauses pendant que Gina travaillait – elle utilisait ce temps pour étudier le métier de commissaire-priseur. Elle avait tellement apprécié la vente qu’elle avait menée pour les affaires d’Iris Archer qu’elle allait en tenir une tous les mois. Demain, la prochaine vente aux enchères de Lacey devait commencer, et elle en était très excitée.

Elle passa le comptoir – Chester levant la tête pour lui adresser son habituel gémissement – et s’approcha du vieil homme. C’était un étranger, pas un de ses clients habituels, et il regardait attentivement l’étagère des ballerines de cristal.

Lacey écarta les boucles sombres sur son visage et se dirigea vers l’homme âgé.

— Vous cherchez quelque chose en particulier ? demanda-t-elle en s’approchant de lui.

L’homme sursauta.

— Bonté divine, vous m’avez fait peur !

— Je suis vraiment désolée, dit Lacey, en remarquant son appareil auditif pour la première fois et en se rappelant de ne pas se faufiler derrière les personnes âgées à l’avenir. Je me demandais juste si vous cherchiez quelque chose de précis, ou si vous ne faisiez que jeter un œil ?

L’homme se retourna vers les figurines, un petit sourire aux lèvres.

— C’est une drôle d’histoire, dit-il. C’est l’anniversaire de ma défunte épouse. Je suis venu en ville pour prendre un thé et du gâteau, comme une sorte de fête du souvenir, vous voyez. Mais en passant devant votre magasin, j’ai ressenti le besoin d’entrer. Il montra du doigt les figurines. La première chose que j’ai vue, c’était celles-ci. Il adressa à Lacey un sourire complice. Ma femme était une danseuse.

Lacey lui rendit son sourire, touchГ©e par la poignante histoire.

— Comme c’est beau !

— C’était dans les années soixante-dix, poursuivit le vieil homme en tendant une main tremblante et en prenant un modèle sur l’étagère. Elle était dans la Royal Ballet Society. En fait, elle était leur toute première ballerine avec…

Juste à ce moment-là, le bruit d’une grosse camionnette roulant trop vite sur le dos d’âne à l’extérieur du magasin coupa la fin de la phrase de l’homme. Le bang qui retentit par la suite lorsqu’elle retomba de l’autre côté de la bosse lui fit faire un bond et la figurine vola de ses mains. Elle heurta le plancher. Le bras de la ballerine s’en détacha et partit sous les étagères.

— Oh mon Dieu ! s’exclama l’homme. Je suis vraiment désolé !

— Ne vous inquiétez pas, lui assura Lacey, son regard fixé par la fenêtre sur la camionnette blanche, qui s’était arrêtée sur le trottoir, le moteur tournant au ralenti et crachant de la fumée du pot d’échappement. Ce n’était pas votre faute. Je ne pense pas que le conducteur ait vu le dos d’âne. Il a probablement endommagé son van !

Elle s’accroupit et passa un bras sous l’étagère, jusqu’à ce que le bout de ses doigts frôle le bord légèrement dentelé du cristal. Elle sortit le bras – qui était maintenant recouvert d’une fine couche de poussière – et se releva. C’est alors qu’elle vit à travers la fenêtre le conducteur de la camionnette descendre de l’habitacle en sautant sur les pavés.

— Vous vous moquez de moi… marmonna Lacey, en fronçant les yeux sur la coupable qu’elle pouvait maintenant identifier. Taryn.

Taryn possédait la boutique d’à côté. C’était une femme snob et mesquine, à qui Lacey avait décerné le titre de Personne la Moins Favorite du Wilfordshire. Elle essayait toujours d’embêter Lacey, de la chasser de la ville. Taryn avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour contrecarrer les tentatives de Lacey de monter une affaire ici à Wilfordshire, jusqu’à percer des trous dans le mur de son propre magasin juste pour l’irriter ! Et bien que la femme ait demandé une trêve après que son homme à tout faire ait poussé les choses un peu trop loin et ait été surprise à rôder devant le chalet de Lacey une nuit, celle-ci n’était pas si sûre de pouvoir lui faire confiance à nouveau. Taryn jouait à la déloyale. C’était sûrement un autre de ses tours. Pour commencer, il était impossible qu’elle ne sache pas que le dos d’âne était là – il était visible de la vitrine de son propre magasin, pour l’amour de Dieu ! Elle l’avait donc délibérément franchi trop vite. Et pour couronner le tout, elle s’était garée juste devant le magasin de Lacey, plutôt que devant le sien, soit pour tenter de bloquer la vue, soit pour rejeter les gaz d’échappement dans sa direction.

— Je suis vraiment désolé, répéta l’homme, ramenant l’attention de Lacey. Il tenait toujours la figurine, maintenant avec un seul bras. S’il vous plaît. Laissez-moi payer pour les dégâts.

— Absolument pas, lui dit fermement Lacey. Vous n’avez rien fait de mal. Les yeux plissés, elle regarda par-dessus son épaule et par la fenêtre. Elle braqua son regard sur Taryn, suivant la femme qui marchait nonchalamment vers l’arrière de la camionnette comme si de rien n’était. L’agacement de Lacey envers la propriétaire de la boutique grandissait. Si quelqu’un doit être tenu pour responsable, c’est la conductrice. Elle serra les poings. C’est presque comme si elle l’avait fait délibérément. Aïe !

Lacey sentit quelque chose de pointu dans sa paume. Elle avait serré le bras de la ballerine si fort qu’il lui avait entaillé la peau.

— Oh ! s’exclama l’homme à la vue de la gouttelette de sang qui apparaissait dans sa paume. Il lui prit le bras au milieu de sa main, comme si le fait de l’enlever pouvait d’une certaine manière soigner la blessure. Est-ce que ça va ?

— S’il vous plaît, excusez-moi une seconde, dit Lacey.

Elle se dirigea vers la porte, laissant derrière elle l’homme à l’air stupéfait dans son magasin, tenant une ballerine cassée dans une main et un bras désincarné dans l’autre, et marcha dans la rue. Elle se dirigea à grands pas jusqu’à son ennemie jurée du quartier.

— Lacey ! dit Taryn, rayonnante alors qu’elle ouvrait la porte arrière du van. J’espère que ça ne te dérange pas que je me gare ici ? J’ai le stock de la nouvelle saison à décharger. L’été n’est-il pas ta saison préférée pour la mode ?

— Ça ne me dérange pas du tout que tu te gares là, dit Lacey. Mais ça me dérange que tu conduises trop vite sur le dos d’âne. Tu sais que le ralentisseur est juste en face de mon magasin. Le bruit a presque causé une crise cardiaque à mon client.

Elle remarqua alors que Taryn s’était également garée de telle manière que sa fourgonnette encombrante bloquait la vue de Lacey sur l’autre côté de la rue, vers la pâtisserie de Tom. C’était vraiment intentionnel !

— Compris, dit Taryn avec une fausse jovialité. Je m’assurerai de conduire plus lentement quand il sera temps de décharger le stock de la saison d’automne. Hey, tu devrais passer une fois que j’aurai mis tout ça en place. Changer ta garde-robe. Te faire plaisir. Tu le mérites. Ses yeux se posèrent sur la tenue de Lacey. Et il est définitivement temps.

— Je vais y réfléchir, dit Lacey sans enthousiasme, rendant son faux sourire à Taryn.

ГЂ la seconde oГ№ elle tourna le dos Г  la femme, son sourire se transforma en grimace. Taryn Г©tait vraiment la reine du compliment vache.

Lorsqu’elle revint dans son magasin, Lacey découvrit que son client âgé attendait maintenant près du comptoir, et qu’une deuxième personne – un homme en costume sombre – était également entrée. Il parcourait l’étagère remplie de tous les articles nautiques que Lacey prévoyait vendre aux enchères le lendemain, sous l’œil attentif de Chester le chien. Elle pouvait sentir son après-rasage même à cette distance.

— Je suis à vous dans un instant, appela Lacey au nouveau client alors qu’elle se précipitait vers l’arrière du magasin où l’homme âgé l’attendait.

— Est-ce que votre main va bien ? lui demanda l’homme.

— Absolument. Elle regarda la petite égratignure dans sa paume, qui avait déjà cessé de saigner. Désolée de m’être précipitée comme ça. Je devais… Elle choisit ses mots avec soin, m’occuper de quelque chose.

Lacey était déterminée à ne pas laisser Taryn l’abattre. Si elle laissait la propriétaire de la boutique lui mettre les nerfs à vif, ce serait comme marquer un but contre son camp.

Alors que Lacey se glissait derriГЁre le comptoir, elle remarqua que le vieil homme avait placГ© la figurine brisГ©e dessus.

— J’aimerais l’acheter, annonça-t-il.

— Mais elle est cassée, répliqua Lacey. Il essayait de toute évidence d’être seulement gentil, même s’il n’avait aucune raison de se sentir mal. Ce n’était pas du tout de sa faute.

— Je la veux malgré tout.

Lacey rougit. Il Г©tait vraiment inflexible.

— Pouvez-vous me laisser essayer de la réparer d’abord, au moins ? dit-elle. J’ai de la super glue et…

— Pas du tout ! interrompit l’homme. Je la veux telle quelle. Vous voyez, ça me rappelle encore plus ma femme maintenant. C’est ce que j’allais dire, quand la camionnette a fait bang. C’était la première ballerine handicapée de la Royal Ballet Society. Il leva la figurine, la faisant tourner dans la lumière. La lumière accrocha le bras droit, qui semblait encore élégant tendu, malgré le fait qu’il se termina en un moignon dentelé au coude. Elle dansait avec un bras.

Lacey leva les sourcils. Elle resta bouche bГ©e.

— Pas possible !

L’homme fit un signe de tête enthousiaste.

— Honnêtement ! Ne voyez-vous pas ? C’était un signe d’elle.

Lacey ne pouvait pas ne pas être d’accord. Elle cherchait son propre fantôme, après tout, sous la forme de son père, elle était donc particulièrement sensible aux signes de l’univers.

— Alors vous avez raison, vous devez la prendre, dit Lacey. Mais je ne peux pas vous faire payer pour ça.

— Vous êtes sûre ? demanda l’homme, surpris.

Lacey rayonnait.

— Je suis sûre ! Votre femme vous a envoyé un signe. La figurine vous revient de droit.

L’homme avait l’air touché.

— Merci.

Lacey commença à lui envelopper la figurine dans du papier de soie.

— Assurons-nous qu’elle ne perde plus aucun de ses membres, hein ?

— Vous organisez une vente aux enchères, je vois, dit l’homme en montrant par-dessus son épaule l’affiche accrochée au mur.

Contrairement aux affiches grossièrement dessinées à la main qui avaient annoncé sa dernière vente aux enchères, Lacey avait fait faire celle-ci par un professionnel. Elle était décorée d’images nautiques, de bateaux et de mouettes, et d’une bordure faite pour ressembler à une guirlande de fanions vichy bleu et blanc en l’honneur de la propre obsession du Wilfordshire pour ces derniers.

— C’est bien cela, dit Lacey, sentant la fierté enfler dans sa poitrine. C’est ma deuxième vente aux enchères. C’est exclusivement pour des objets de marine anciens. Des sextants. Des ancres. Des longues vues. Je vais vendre toute une série de trésors. Peut-être aimeriez-vous y assister ?

— Peut-être que je le ferai, répondit l’homme en souriant.

— Je vais vous mettre un prospectus dans le sac.

C’est ce que Lacey fit, puis elle remit à l’homme sa précieuse figurine par-dessus le comptoir. Il la remercia et partit.

Lacey regarda le vieil homme sortir du magasin, touché par l’histoire qu’il lui avait racontée, avant de se rappeler qu’elle avait à s’occuper d’un autre client.

Elle regarda à droite pour tourner son attention vers l’autre homme. C’est seulement alors qu’elle vit qu’il était parti. Il était sorti en silence, sans qu’elle s’en aperçoive, avant même qu’elle n’ait eu la chance de voir s’il avait besoin d’aide.

Elle se dirigea vers la zone qu’il avait observée – l’étagère du bas où elle avait placé des boîtes de rangement remplies de tous les articles qu’elle allait présenter à la vente aux enchères du lendemain. Une pancarte, écrite à la main par Gina, indiquait : Rien dans ce lot n’est à vendre. Tout sera mis aux enchères ! Elle avait griffonné ce qui semblait être une tête de mort en dessous, confondant de toute évidence le thème de la Marine avec celui des pirates. Heureusement, le client avait vu le mot et serait de retour le lendemain pour faire une offre sur l’objet qui l’intéressait tant.

Lacey prit une des boîtes remplies d’articles qu’elle n’avait pas encore évalués et la ramena au bureau. Alors qu’elle sortait article après article, les alignant sur le comptoir, elle ne put s’empêcher de sentir l’excitation la traverser. Sa dernière vente aux enchères avait été merveilleuse, mais tempérée par le fait qu’elle avait été à la recherche d’un tueur. Celle-ci, elle pourrait en profiter pleinement. Elle aurait vraiment l’occasion de faire voir ses talents de commissaire-priseur, et elle ne pouvait littéralement pas attendre cela !

Elle venait de se lancer dans l’évaluation et le catalogage des objets lorsqu’elle fut interrompue par le son strident de son téléphone portable. Un peu frustrée d’être perturbée par ce qui était sans doute sa jeune sœur mélodramatique, Naomi, en pleine crise monoparentale, Lacey jeta un coup d’œil au portable où il se trouvait, sur le comptoir. À sa grande surprise, l’identifiant affiché était celui de David, son ex-mari depuis peu.

Lacey regarda pendant un moment l’écran clignotant, réduite à l’inaction par son hébétement. Une avalanche d’émotions différentes la traversait. David et elle n’avaient échangé exactement aucun mot depuis le divorce – même s’il semblait toujours être en bons termes avec la mère de Lacey, entre autres – et avaient tout réglé par l’intermédiaire de leurs avocats. Mais qu’il l’appelle directement ? Lacey ne savait même pas par où commencer pour élaborer des théories sur les raisons d’un tel geste.

Tout en sachant que c’était une erreur, Lacey répondit à l’appel.

— David ? Est-ce que tout va bien ?

— Non, ça ne va pas, dit-il d’une voix aiguë, réveillant un million de souvenirs latents qui sommeillaient dans l’esprit de Lacey, comme de la poussière que l’on remue.

Elle se tendit, se prГ©parant Г  un choc terrible.

— Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Ta pension alimentaire n’a pas été versée.

Lacey leva si fort les yeux au ciel qu’ils lui firent mal. L’argent. Bien sûr. Il n’y avait rien qui comptait plus pour David que l’argent. Un des aspects les plus ridicules de son divorce d’avec David était le fait qu’elle devait lui payer une pension alimentaire parce qu’elle avait la mieux payée du couple. Elle se dit que la seule chose qui pouvait le forcer à entrer directement en contact avec elle était bien cela.

— Mais j’ai organisé le paiement par la banque, lui dit Lacey. Ça devrait être automatique.

— Eh bien, apparemment les Britanniques ont une interprétation différente du mot automatique, dit-il avec arrogance. Parce qu’aucune somme d’argent n’a été déposée sur mon compte en banque, et si tu l’ignorais, la date limite est aujourd’hui ! Je te suggère donc de téléphoner à ta banque immédiatement et de résoudre la situation.

On aurait dit un directeur d’école. Lacey s’attendait à ce qu’il finisse son monologue par la phrase “petite fille stupide”.

Elle serra le portable, fermement, en essayant de son mieux de ne pas laisser David l’atteindre, pas aujourd’hui, la veille de sa vente aux enchères qu’elle attendait avec impatience !

— Quelle suggestion intelligente, David, répondit-elle, en coinçant le téléphone entre son oreille et son épaule afin de pouvoir libérer ses mains et les utiliser pour se connecter à son compte bancaire en ligne. Je n’aurais jamais pensé faire ça moi-même.

Ses paroles furent accueillies par un silence. David ne l’avait probablement jamais entendu user de sarcasmes auparavant, et cela l’avait déconcerté. Elle tenait Tom pour responsable. Le sens de l’humour anglais de son nouveau prétendant déteignait sur elle très rapidement.

— Tu ne prends pas ça très au sérieux, répondit David, une fois qu’il eut enfin rattrapé son retard.

— Je le devrais ? répondit Lacey. C’est juste une confusion à la banque. Je peux probablement faire en sorte qu’on s’en occupe d’ici la fin de la journée. En fait, oui, il y a un avis là sur mon compte. Elle cliqua sur la petite icône rouge et une boîte d’information apparut. Elle la lut à haute voix. “En raison des jours fériés, les paiements prévus qui tombent le dimanche ou le lundi seront effectués le mardi.” Ahah. Et voilà. Je savais que ce serait quelque chose de simple. Un jour férié. Elle s’arrêta et regarda par la fenêtre la foule de gens qui passaient. Je trouvais bien que les rues avaient l’air très animées aujourd’hui.

Elle pouvait pratiquement entendre David grincer des dents Г  travers le haut-parleur.

— C’est à vrai dire extrêmement gênant, dit-il sèchement. J’ai des factures à payer, tu sais.

Lacey regarda Chester, comme si elle avait besoin d’un camarade dans cette conversation particulièrement frustrante. Il releva la tête de ses pattes et leva un sourcil.

— Frida ne peut pas te prêter deux millions de dollars si tu es à court ?

— Eda, corrigea David.

Lacey connaissait bien le nom de la nouvelle fiancée de David. Mais elle et Naomi avaient pris l’habitude de l’appeler Frida la Quinzaine, en référence à la rapidité avec laquelle tous deux s’étaient fiancés et maintenant elle ne pouvait plus la nommer autrement.

— Et non, continua-t-il. Elle ne devrait pas avoir à le faire. Qui t’a parlé d’Eda ?

— Ma mère a peut-être laissé échapper ça une ou deux douzaines de fois. Qu’est-ce que tu fais à parler à ma mère de toute façon ?

— Elle a fait partie de ma famille depuis quatorze ans. Je n’ai pas divorcé d’elle.

Lacey soupira.

— Non. J’imagine que non. Alors, quel est le plan ? Vous trois allez nouer des liens autour d’une manucure-pédicure ?

Maintenant elle essayait de l’énerver, et elle ne pouvait pas s’en empêcher. C’était assez amusant.

— Tu es ridicule, dit David.

— N’est-elle pas l’héritière d’un emporium de faux ongles ? dit-elle avec une innocence feinte.

— Oui, mais tu n’as pas besoin de le dire comme ça, dit David, d’une voix qui catapulta l’image de son visage renfrogné dans l’esprit de Lacey.

— Je m’interrogeais juste sur la façon dont vous trois allez probablement passer votre temps ensemble.

— Avec un ton critique.

— Maman me dit qu’elle est jeune, dit Lacey en changeant de cap. Vingt ans. Je veux dire, je pense que vingt ans est peut-être un peu trop jeune pour un homme de ton âge, mais au moins elle a dix-neuf ans pour décider si elle veut des enfants ou non. Trente-neuf ans, c’est la limite pour toi, après tout.

À peine l’eut-elle dit qu’elle réalisa à quel point elle ressemblait à Taryn. Elle frissonna. Alors qu’elle n’avait aucun scrupule à ce que les manières de Tom déteignent sur elle, sa tolérance s’arrêtait définitivement à Taryn !

— Désolée, marmonna-t-elle, en faisant marche arrière. C’était déplacé.

David laissa passer une mesure.

— Donne-moi juste mon argent, Lace.

L’appel fut coupé.

Lacey soupira et posa le téléphone. Aussi exaspérante qu’ait été la conversation, elle était absolument déterminée à ne pas se laisser abattre. David appartenait à son passé désormais. Elle s’était construit une toute nouvelle vie ici à Wilfordshire. Et de toute façon, le fait que David soit parti avec Eda était une bénédiction déguisée. Elle n’aurait plus à lui payer de pension alimentaire une fois qu’ils se seraient mariés, et le problème serait résolu ! Mais connaissant la façon dont les choses se passaient habituellement pour elle, elle avait le sentiment que ce seraient des fiançailles très longues.




CHAPITRE DEUX


Lacey était en plein travail d’évaluation quand, de l’autre côté de la fenêtre, Taryn déplaça enfin son énorme fourgon, et la vue sur le magasin de Tom de l’autre côté des rues pavées se dégagea. Les guirlandes de fanions vichy sur le thème de Pâques avaient été remplacées par d’autres sur le thème de l’été, et Tom avait mis son étalage de macarons au goût du jour pour qu’il représente maintenant une île tropicale. Des macarons au citron composaient le sable, entouré d’une mer de différents bleus-turquoise (parfum barbe à papa), bleu layette (parfum bubble gum), bleu foncé (parfum myrtille) et bleu marine (parfum framboise bleue). De grandes piles de macarons au chocolat, de macarons au café et de macarons aux cacahuètes formaient l’écorce des palmiers, et les feuilles avaient été fabriquées en pâte d’amande ; un autre matériau alimentaire pour le travail duquel Tom était doué. La vitrine était impressionnante, pour ne pas dire appétissante, et elle attirait toujours une foule de touristes spectateurs excités.

En regardant le comptoir à travers la fenêtre, Lacey pouvait voir Tom derrière, occupé à ravir ses clients avec ses présentations théâtrales.

Elle posa son menton sur son poing et poussa un soupir rêveur. Pour le moment, les choses se passaient merveilleusement bien avec Tom. Ils “sortaient” officiellement ensemble, le choix du mot était celui de Tom, pas le sien. Au cours de leur discussion sur la “définition de leur relation”, Lacey avait avancé l’argument selon lequel il s’agissait d’un terme inadéquat et enfantin pour deux adultes matures qui s’embarquaient ensemble dans une aventure romantique, mais Tom avait fait remarquer que puisqu’elle n’était pas employée par Merriam-Webster, ce n’était pas vraiment à elle de décider de la terminologie. Elle concéda sur ce point particulier, mais fixa la limite aux termes “petite amie” et “petit ami”. Ils n’avaient pas encore décidé des termes appropriés pour se référer l’un à l’autre, et ils choisissaient généralement le mot “chérie” par défaut.

Soudain, Tom la regarda et lui fit signe. Lacey se secoua, ses joues s’échauffant en réalisant qu’il venait de la surprendre à le regarder comme une écolière qui avait le béguin.

Le geste de Tom se transforma en un signe de la main, et Lacey réalisa tout à coup quelle était l’heure. Onze heures dix. L’heure du thé ! Et elle avait dix minutes de retard pour leur onze heures quotidien !

— Allez, Chester, dit-elle rapidement, alors que l’excitation montait dans sa poitrine. Il est temps de rendre visite à Tom.

Elle courut pratiquement hors du magasin, se rappelant seulement de retourner son panneau “Ouvert” pour qu’il indique “De retour dans 10 minutes” et de verrouiller la porte. Puis elle traversa la rue pavée en sautillant vers la pâtisserie, son cœur battant à tout rompre avec ses pas sautillants, alors que son excitation de voir Tom s’intensifiait.

Juste au moment où Lacey atteignait la porte de la pâtisserie, le groupe de vacanciers chinois que Tom avait diverti quelques instants auparavant sortit en file indienne. Chacun tenait un très grand sac en papier brun rempli de friandises aux odeurs délicieuses, bavardant et riant les uns avec les autres. Lacey tint patiemment la porte, attendant qu’ils passent, et ils inclinèrent poliment la tête en guise de remerciement.

Une fois le chemin enfin dégagé, Lacey entra à l’intérieur.

— Bonjour, ma chère, dit Tom, un grand sourire illuminant son beau visage doré, faisant apparaître des pattes d’oie à l’extrémité de ses yeux verts scintillants.

— Je vois que tes groupies viennent de partir, plaisanta Lacey, en se dirigeant vers le comptoir. Et ils ont acheté une tonne de produits.

— Tu me connais, répondit Tom en remuant les sourcils. Je suis le premier chef pâtissier au monde avec un fan-club.

Il semblait être d’humeur particulièrement joviale aujourd’hui, pensa Lacey, non pas qu’il ait un jour semblé autre chose que rayonnant. Tom faisait partie de ces gens qui semblaient traverser la vie sans être perturbés par le stress habituel qui déprimait même les meilleurs. C’était l’une des choses que Lacey adorait chez lui. Il était si différent de David, qui était stressé par la moindre chose irritante.

Elle approcha et Tom étira les bras pour l’embrasser par-dessus le comptoir. Lacey se laissa aller, et ne se retira que lorsque Chester commença à faire savoir son mécontentement d’être ignoré en gémissant.

— Désolé, mon pote, dit Tom. Il sortit de derrière le comptoir et offrit à Chester une friandise à la caroube sans chocolat. Et voilà. Ton préféré.

Chester attrapa les friandises de la main de Tom, puis poussa un long soupir de satisfaction et se coucha par terre pour faire une sieste.

— Alors, quel thé est au menu aujourd’hui ? demanda Lacey, en prenant son tabouret habituel au comptoir.

— Chicorée, dit Tom.

Il se dirigea vers la cuisine au fond.

— Je n’ai jamais pris ça avant, cria Lacey.

— C’est sans caféine, répondit Tom en haussant la voix à cause du bruit d’un robinet et des portes de placard qui claquaient. Et ça a un léger effet laxatif si tu en bois trop.

Lacey rit.

— Merci pour l’info, répondit-elle.

Ses mots furent accueillis par le tintement et le claquement de la porcelaine, et le bruit de la bouilloire qui bouillait.

Puis Tom rГ©apparut en portant un plateau Г  thГ©. Il y avait des assiettes, des tasses, des soucoupes, un sucrier et une thГ©iГЁre en porcelaine.

Il posa le plateau entre eux. Comme toute la vaisselle de Tom, les objets étaient complètement dépareillés, leur seul thème commun étant la Grande-Bretagne, comme s’il s’était procuré chacun d’entre eux dans différents vide-greniers de vieille dame patriotique. La tasse de Lacey avait une photo de feu la Princesse Diana dessus. Dans son assiette, un passage de Beatrix Potter était écrit en manuscrite délicate à côté d’une aquarelle représentant le canard emblématique d’Aylesbury, Sophie Canétang, avec son bonnet et son châle. La théière avait la forme d’un éléphant indien décoré de manière criarde, avec les mots Piccadilly Circus imprimés sur sa selle rouge vif et or. Sa trompe, naturellement, formait le bec.

Pendant que le thé infusait dans la théière, Tom utilisait des pinces en argent pour sélectionner quelques croissants sur le présentoir du comptoir, qu’il plaçait sur de jolies assiettes à fleurs. Il fit glisser celui de Lacey vers elle, suivi d’un pot de sa confiture d’abricots préférée. Puis il leur versa à tous les deux une tasse du thé maintenant infusé, s’assit sur son tabouret, leva la tasse et dit :

— À la tienne.

Avec un sourire, Lacey trinqua.

— À la tienne.

Alors qu’ils prenaient une gorgée de concert, Lacey eut soudain une impression de déjà-vu. Pas un vrai, comme quand on est certain d’avoir déjà vécu ce moment précis, mais le déjà-vu qui vient de la répétition, de la routine, du fait de faire la même chose jour après jour. C’est comme s’ils avaient déjà fait ça avant, parce qu’ils l’avaient fait ; la veille, et le jour d’avant, et le jour d’avant. En tant que gérants de magasin très occupés, Lacey et Tom faisaient souvent des heures supplémentaires et travaillaient sept jours par semaine. C’était devenu si naturel, la routine, le rythme. Mais c’était plus que cela. Tom lui avait automatiquement donné son croissant aux amandes grillées préféré avec de la confiture d’abricots. Il n’avait même pas besoin de lui demander ce qu’elle voulait.

Cela aurait dû plaire à Lacey, mais à la place, cela la perturbait. Parce que c’est exactement ainsi que les choses avaient été avec David au départ. Apprendre les commandes de l’autre. Se faire des petites faveurs. Des petits moments de routine et de rythme qui lui donnaient l’impression qu’ils étaient les pièces d’un puzzle qui s’emboîtaient parfaitement. Elle avait été jeune et stupide et avait fait l’erreur de penser que ce serait toujours comme cela. Mais ce n’était que la période de la lune de miel. Elle s’était dissipée un ou deux ans plus tard, et à ce moment-là, elle était déjà coincée dans le mariage.

C’était tout ce que cette relation était avec Tom ? Une période de lune de miel qui finirait par s’estomper ?

— Qu’est-ce que tu en penses ? demanda Tom, sa voix s’immisçant dans sa cogitation anxieuse.

Lacey recracha presque son thГ©.

— Rien.

Tom leva un seul sourcil.

— Rien ? La chicorée a eu si peu d’impact sur toi que toute pensée a quitté ton esprit ?

— Oh, à propos de la chicorée ! s’exclama-t-elle en rougissant.

Tom avait l’air encore plus amusé.

— Oui. À propos de quoi d’autre est-ce que je pourrais demander ?

Lacey remit maladroitement la tasse de Lady Diana sur la soucoupe, en faisant un grand bruit.

— C’est agréable. Un petit goût de réglisse. Huit sur dix.

Tom siffla.

— Ouah ! Un grand éloge. Mais pas assez pour détrôner l’Assam.

— Il faudra un thé exceptionnel pour détrôner l’Assam.

Sa panique momentanée à l’idée que Tom ait la capacité de lire dans son esprit se calma et Lacey tourna son attention vers le petit-déjeuner, se délectant des saveurs de la confiture d’abricot maison combinée avec des amandes grillées et une délicieuse pâte au beurre. Mais même la nourriture savoureuse ne pouvait pas empêcher son esprit de s’égarer vers la conversation avec David. C’était la première fois qu’elle entendait sa voix depuis qu’il était sorti comme un ouragan de leur vieil appartement de l’Upper East Side avec cette déclaration d’adieu “Tu auras des nouvelles de mon avocat !” et le fait d’entendre à nouveau sa voix lui rappelait qu’il y avait moins d’un mois, elle était encore une femme mariée relativement heureuse, avec un emploi stable et un revenu et une famille à proximité dans la ville où elle avait vécu toute sa vie. Sans même en avoir conscience, elle avait bloqué sa vie passée à New York avec un mur solide dans son esprit. C’était une stratégie d’adaptation qu’elle avait développée dans son enfance pour faire face à la douleur de la disparition soudaine de son père. De toute évidence, entendre la voix de David avait ébranlé les fondations de ce mur.

— On devrait partir en vacances, dit soudain Tom.

Une fois encore, Lacey faillit recracher sa nourriture, mais Tom n’avait pu le remarquer, car il continua à parler.

— Quand je reviendrai de mon cours de focaccia, on devrait partir en vacances. Nous avons tous les deux travaillé si dur, nous le méritons. On peut aller dans ma ville natale dans le Devon, et je te montrerai tous les endroits que j’aimais quand j’étais enfant.

Si Tom avait suggéré cela hier avant son appel avec David, Lacey lui aurait probablement sauté dessus à cette proposition. Mais soudain, l’idée de faire des plans sur le long terme avec son nouveau petit ami – même si ce n’était qu’une semaine dans le futur – semblait brûler un peu les étapes. Bien sûr, Tom n’avait aucune raison de ne pas être confiant dans sa vie. Mais Lacey elle-même n’était pas divorcée depuis longtemps. Elle était entrée dans son monde de stabilité relative à un moment où littéralement chaque partie de la sienne était partie à vau-l’eau – son travail, sa maison, son pays, et même sa situation amoureuse ! Elle était passée du baby-sitting de son neveu, Frankie, pendant que sa sœur, Naomi, avait un autre rendez-vous désastreux, à la chasse aux moutons sur sa pelouse avant ; de l’aboiement de son patron, Saskia, dans une entreprise de design d’intérieur de New York, à des excursions de repérage d’antiquités dans le Mayfair de Londres avec sa voisine bizarre en cardigan et deux chiens de berger sur leurs talons. C’était beaucoup de changements d’un seul coup, et elle ne savait pas trop où elle avait la tête.

— Je vais devoir voir à quel point je suis occupée avec le magasin, répondit-elle sans s’engager. La vente aux enchères demande plus de travail que je ne l’avais prévu.

— Bien sûr, dit Tom, sans paraître avoir lu entre les lignes. Saisir les subtilités et les sous-entendus n’était pas l’un des points forts de Tom, ce qui était une autre chose qu’elle aimait chez lui. Il prenait tout ce qu’elle disait pour argent comptant. Contrairement à sa mère et à sa sœur, qui l’asticotaient et disséquaient chaque mot qu’elle disait, il n’y avait pas de devinettes ou de doutes avec Tom. Pas de faux-semblants.

Juste à ce moment-là, la cloche au-dessus de la porte de la pâtisserie tinta, et le regard de Tom passa par-dessus l’épaule de Lacey. Elle regarda son expression se tordre en une grimace avant que ses yeux ne recroisent les siens.

— Super, murmura-t-il dans sa barbe. Je me demandais quand mon tour viendrait pour la visite de Bonnet-Blanc et Blanc-Bonnet. Il faut que tu m’excuses.

Il se leva et fit le tour du comptoir.

Curieuse de voir qui pouvait susciter une réponse aussi viscérale de la part de Tom – un homme notoirement facile à vivre et avenant – Lacey pivota sur son tabouret.

Les clients qui étaient entrés dans la pâtisserie étaient un homme et une femme, et on aurait dit qu’ils venaient de quitter le plateau de Dallas. L’homme était en costume bleu poudre avec un chapeau de cowboy. La femme – beaucoup plus jeune, nota Lacey avec ironie, comme cela semblait être la préférence de la plupart des hommes d’âge moyen – était vêtue d’un deux-pièces rose fuchsia, assez vif pour donner mal à la tête à Lacey, et qui jurait terriblement avec ses cheveux blonds à la Dolly Parton.

— Nous aimerions essayer quelques échantillons, aboya l’homme. Il était américain, et sa brusquerie semblait si déplacée dans la petite pâtisserie charmante de Tom.

Mon dieu, j’espère que je ne sonne pas comme ça aux oreilles de Tom, pensa Lacey un peu gênée.

— Bien sûr, répondit poliment Tom. Le ton britannique de sa propre voix semblait s’être intensifié en réponse. Que voulez-vous essayer ? Nous avons des pâtisseries et…

— Beurk, Buck, non, dit la femme à son mari, en tirant sur son bras auquel elle s’accrochait. Tu sais que le blé me fait grossir. Demande-lui quelque chose de différent.

Lacey ne pouvait s’empêcher de soulever un sourcil face à cette paire bizarre. La femme était-elle incapable de poser ses propres questions ?

— Vous avez du chocolat ? demanda l’homme qu’elle appelait Buck. Ou plutôt exigea, puisque son ton était si grossier.

— Oui, dit Tom, gardant malgré tout son sang-froid face à cette grande gueule et sa bernicle de femme.

Il leur montra la vitrine des chocolats et fit un geste de la main. Buck en prit une dans son poing bien gras et l’enfourna directement dans sa bouche.

Presque immédiatement, il le recracha. Le petit morceau gluant, à moitié mâché, s’écrasa par terre.

Chester, qui Г©tait restГ© trГЁs silencieusement assis aux pieds de Lacey, se leva soudainement et se jeta dessus.

— Chester. Non, lui dit Lacey d’une voix ferme et autoritaire, à laquelle il savait très bien qu’il devait obéir. Poison.

Le berger anglais la regarda, puis regarda tristement le chocolat, avant de reprendre enfin sa place à ses pieds avec l’expression d’un enfant rejeté.

— Beurk, Buck, il y a un chien ici ! se lamenta la femme blonde. C’est tellement peu hygiénique.

— L’hygiène est le moindre de ses soucis, se moqua Buck en regardant Tom, qui avait maintenant une expression un peu mortifiée. Votre chocolat a un goût de merde !

— Le chocolat américain et le chocolat anglais sont différents, dit Lacey, ressentant le besoin d’intervenir pour prendre la défense de Tom.

— Pas besoin de le dire, répondit Buck. Ça a un goût de merde ! Et la reine mange ces cochonneries? Elle a besoin de bonnes importations américaines si vous voulez mon avis.

D’une manière ou d’une autre, Tom parvint à rester calme, même si Lacey bouillonnait assez pour eux deux.

Cette brute et sa misérable femme sortirent précipitamment hors du magasin et Tom prit un mouchoir pour essuyer le chocolat craché qu’ils avaient laissé derrière eux.

— Ils étaient si vulgaires, dit Lacey, incrédule, pendant que Tom nettoyait.

— Ils séjournent au B&B de Carol, expliqua-t-il en levant les yeux vers elle, tandis qu’il était à quatre pattes en train de passer la serpillière sur les carreaux. Elle dit qu’ils sont horribles. L’homme, Buck, renvoie en cuisine chaque plat qu’il commande. Après en avoir mangé la moitié, cela dit. La femme prétend que les shampooings et les savons lui donnent des démangeaisons, mais quand Carol lui fournit quelque chose de nouveau, les originaux ont mystérieusement disparu. Il se leva, en secouant la tête. Ils empoisonnent la vie de tout le monde.

— Oh, dit Lacey, en mettant le dernier morceau de croissant dans sa bouche. Je devrais me considérer comme chanceuse, alors. Je doute qu’ils soient intéressés par les antiquités.

Tom tapota le comptoir.

— Touche du bois, Lacey. Tu ne voudrais pas te porter la poisse.

Lacey était sur le point de dire qu’elle ne croyait pas à de telles superstitions, mais elle pensa alors au vieil homme et à la ballerine de tout à l’heure, et décida qu’il valait mieux ne pas tenter le destin. Elle tapota le comptoir.

— Voilà. Le mauvais sort est officiellement brisé. Maintenant, je ferais mieux d’y aller. J’ai encore des tonnes de choses à évaluer avant la vente aux enchères de demain.

La cloche au-dessus de la porte tinta et Lacey jeta un coup d’œil pour voir un grand groupe d’enfants se précipiter à l’intérieur. Ils étaient habillés en robe de soirée et portaient des chapeaux. Parmi eux, une petite enfant blonde et grassouillette, habillée en princesse et portant un ballon gonflé à l’hélium, criait à personne en particulier :

— C’est mon anniversaire !

Lacey se retourna vers Tom avec un petit sourire sur les lГЁvres.

— On dirait que tu es sur le point d’être bien occupé ici.

Il avait l’air stupéfait, et plus qu’inquiet.

Lacey sauta du tabouret, fit un bisou à Tom sur les lèvres, puis le laissa à la merci d’un groupe de filles de huit ans.



*



De retour dans son magasin, Lacey se mit Г  Г©valuer les derniers articles de la Marine pour la vente aux enchГЁres du lendemain.

Elle était particulièrement ravie d’avoir trouvé un sextant dans un endroit des plus improbables : un magasin caritatif. Elle n’y était allée que pour acheter la console de jeux rétro qu’ils avaient exposée dans la vitrine – elle savait que son neveu Frankie, obsédé par les ordinateurs, l’adorerait – lorsqu’elle l’avait repéré. Un sextant du début du dix-neuvième siècle, en acajou, à poignée d’ébonite et à double cadre ! Il était juste posé sur l’étagère, parmi de nouvelles tasses et quelques modèles d’ours en peluche excessivement mignons.

Lacey n’en avait pas cru ses yeux. C’était une novice en matière d’antiquités, après tout. Une telle découverte, c’était prendre ses désirs pour des réalités. Mais quand elle s’était précipitée à l’intérieur pour l’examiner, le dessous de son socle portait l’inscription “Bate, Poultry, London”, ce qui lui avait confirmé qu’elle tenait une authentique et rare Robert Brettell Bate !

Lacey avait immédiatement appelé Percy, sachant qu’il était la seule personne au monde qui serait aussi excité qu’elle. Elle avait eu raison. On aurait dit que tous ses Noëls étaient arrivés plus tôt que prévu.

— Qu’est-ce que tu vas en faire ? demanda-t-il. Tu vas devoir organiser une vente aux enchères. Un objet rare comme ça ne peut pas juste être mis aux enchères sur eBay. Il mérite une grande pompe.

Alors que Lacey avait été surprise qu’une personne de l’âge de Percy sache ce qu’était eBay, son esprit s’était arrêté au mot “enchère”. Pourrait-elle le faire ? En organiser une autre si tôt après la première ? Elle avait déjà eu l’équivalent d’une fortune de meubles victoriens à vendre. Elle ne pouvait pas organiser une vente aux enchères pour ce seul objet. De plus, il lui semblait immoral d’acheter une antiquité rare dans un magasin caritatif en connaissant sa vraie valeur.

— Je sais, dit Lacey, en trouvant une idée. Je vais utiliser le sextant comme un appât, comme l’attraction principale d’une vente aux enchères générale. Ensuite, les bénéfices de la vente pourront être reversés à la boutique caritative.

Cela résoudrait deux dilemmes : le sentiment désagréable d’acheter quelque chose à un organisme de bienfaisance en dessous de sa juste valeur, et ce qu’il faut en faire une fois qu’on l’a fait.

Et c’est ainsi que tout le plan s’était mis en place. Lacey avait acheté le sextant (et la console, qu’elle avait laissé tomber dans son excitation et qu’elle avait presque oublié de reprendre), décidé d’un thème naval, puis s’était mise au travail en organisant la vente aux enchères et en faisant circuler l’information à ce sujet.

Le son de la cloche au-dessus de la porte tira Lacey de sa rêverie. Elle leva les yeux pour voir sa voisine Gina, vêtue d’un cardigan et aux cheveux gris, entrer avec Boudicca, son border collie, sur ses talons.

— Qu’est-ce que tu fais ici ? demanda Lacey. Je pensais qu’on se voyait pour déjeuner.

— C’est le cas ! répondit Gina en montrant la grande horloge en laiton et en fer forgé accrochée au mur.

Lacey jeta un coup d’œil. Avec tout ce qui se trouvait dans le “coin nordique”, l’horloge faisait partie de ses éléments décoratifs préférés dans le magasin. C’était un objet ancien (bien évidemment), et on aurait dit qu’elle avait été autrefois fixée à la façade d’une maison de correction victorienne.

— Oh ! s’exclama Lacey en remarquant enfin l’heure. Il est une heure et demie. Déjà ? La journée passe vite.

C’était la première fois que les deux amies avaient prévu de fermer boutique pendant une heure et de prendre un véritable déjeuner ensemble. Et par “prévu”, ce qui s’était vraiment passé, c’est que Gina avait fait boire trop de vin à Lacey un soir et lui avait forcé la main jusqu’à ce qu’elle cède et accepte. Il était vrai que presque tous les habitants et les visiteurs de la ville de Wilfordshire passaient de toute façon l’heure du déjeuner dans un café ou un pub, plutôt que de parcourir les rayons d’un magasin d’antiquités, et que la fermeture d’une heure ne risquait pas de nuire au commerce de Lacey, mais maintenant que Lacey avait appris que c’était un lundi férié, elle commençait à avoir des hésitations.

— Peut-être que ce n’est pas une bonne idée après tout, dit Lacey.

Gina mit ses mains sur ses hanches.

— Pourquoi ? Quelle excuse as-tu trouvée cette fois-ci ?

— Eh bien, je n’avais pas réalisé que c’était un jour férié aujourd’hui. Il y a des tonnes de gens en plus que d’habitude.

— Des tonnes de personnes en plus, pas des tonnes de clients en plus, dit Gina. Parce que chacun d’entre eux sera assis dans un café ou un pub ou un café-restaurant dans une dizaine de minutes, comme nous devrions l’être ! Allez, Lacey. On en a déjà parlé. Personne n’achète d’antiquités pendant l’heure du déjeuner !

— Mais si certains d’entre eux sont des Européens ? dit Lacey. Tu sais qu’ils font tout plus tard sur le continent. S’ils dînent à 21 ou 22 heures, à quelle heure déjeunent-ils ? Probablement pas à une heure !

Gina la prit par les Г©paules.

— Tu as raison. Mais ils passent l’heure du déjeuner à faire une sieste à la place. S’il y a des touristes européens, ils seront en train de dormir pendant l’heure qui suit. Pour le dire avec des mots que tu puisses comprendre, pas en en train de faire du shopping dans un magasin d’antiquités !

— OK, très bien. Donc les Européens vont être en train de dormir. Mais et s’ils viennent de plus loin et que leurs horloges biologiques sont toujours désynchronisées, qu’ils n’ont alors pas faim pour le déjeuner et ont envie d’acheter des antiquités à la place ?

Gina croisa juste les bras.

— Lacey, dit-elle d’une manière maternelle. Tu as besoin d’une pause. Tu vas t’user jusqu’à la corde si tu passes chaque minute de chaque jour entre ces quatre murs, aussi artistiquement décorés soient-ils.

Lacey plissa les lèvres. Puis elle posa le sextant sur le comptoir et se dirigea vers l’espace de vente.

— Tu as raison. Quel mal une heure peut-elle vraiment faire ?

C’étaient des mots que Lacey allait bientôt regretter.




CHAPITRE TROIS


— Je mourrais d’envie de visiter le nouveau salon de thé, dit Gina avec exubérance, alors qu’elle et Lacey se promenaient sur le front de mer, pendant que leurs compagnons canins s’élançaient dans les vagues en remuant la queue avec excitation.

— Pourquoi ? demanda Lacey. Qu’est-ce qu’il a de si bien ?

— Rien de particulier, répondit Gina. Elle baissa la voix. C’est juste que j’ai entendu dire que le nouveau propriétaire était un ex-catcheur pro ! J’ai hâte de le rencontrer.

Lacey ne pouvait pas s’en empêcher. Elle inclina la tête en arrière et rit bruyamment de l’absurdité de cette rumeur. Mais, il n’y avait pas si longtemps, tout le monde à Wilfordshire pensait qu’elle était peut-être une meurtrière.

— Et si on prenait ce ouï-dire avec des pincettes ? suggéra-t-elle à Gina.

Son amie la “pfft”, et toutes deux se mirent à glousser.

La plage avait l’air particulièrement attrayante avec ces températures plus clémentes. Il ne faisait pas assez chaud pour bronze ou patauger, mais beaucoup plus de gens commençaient à marcher le long de la plage et à acheter des glaces auprès des camionnettes. En chemin, les deux amies se mirent à bavarder et Lacey raconta à Gina tout l’appel téléphonique de David et l’histoire touchante de l’homme et de la ballerine. Puis elles arrivèrent au salon de thé.

Il se trouvait dans ce qui avait autrefois été un garage à canoés, un emplacement de choix en bord de mer. Les anciens propriétaires avaient été ceux qui l’avaient reconverti, transformant l’ancienne remise en un café un peu miteux – ce qu’on appelait en Angleterre un “boui-boui” lui avait appris Gina. Mais le nouveau propriétaire en avait grandement amélioré le design. Il avait nettoyé la façade en briques, enlevant les traces de fientes de mouettes qui étaient probablement là depuis les années 50. Il avait mis une ardoise noire à l’extérieur, affichant café biologique dans l’écriture manuscrite d’un lettreur professionnel. Et les portes en bois d’origine avaient été remplacées par une en verre brillant.

Gina et Lacey s’approchèrent. La porte s’ouvrit automatiquement, comme pour les inviter à l’intérieur. Elles échangèrent un regard et entrèrent.

Elles furent accueillies par l’odeur très forte des grains de café frais, suivie par un parfum de bois, de terre humide et de métal. Le vieux carrelage blanc du sol au plafond avait disparu, ainsi que les box roses en vinyle et le sol en lino. Maintenant, toutes les briques anciennes avaient été exposées et le vieux plancher avait été verni avec une teinture foncée. Dans le même esprit rustique, toutes les tables et les chaises semblaient avoir été fabriquées à partir des planches de bateaux de pêche récupérés – ce qui expliquait l’odeur du bois – et des tuyaux en cuivre dissimulaient toute l’installation électrique de plusieurs grosses ampoules de style Edison qui pendaient du haut plafond – ce qui expliquait l’odeur métallique. L’odeur de terre était causée par le fait que chaque centimètre carré d’espace libre contenait un cactus.

Gina saisit le bras de Lacey et murmura, mГ©contente :

— Oh non. C’est… branché !

Lacey avait récemment appris lors d’une expédition pour acheter des antiquités à Shoreditch à Londres que branché n’était pas un compliment à utiliser à la place d’élégant, mais qu’il avait plutôt un sous-entendu frivole, prétentieux et arrogant.

— J’aime ça, répliqua Lacey. C’est très bien conçu. Même Saskia serait d’accord.

— Attention. Tu ne voudrais pas te faire piquer, ajouta Gina, faisant un mouvement d’esquive exagéré pour éviter un gros cactus à l’aspect piquant.

Lacey lui lança un tsss et se rendit au comptoir, qui était fait de bronze poli, et avait une vieille machine à café assortie qui devait sûrement être ornementale. Malgré ce que Gina avait entendu, il n’y avait pas un seul homme qui ressembla à un catcheur debout derrière, mais une femme avec une coupe au carré déstructurée, teinte en blond et un débardeur blanc qui soulignait sa peau dorée et ses biceps saillants.

Gina vit le regard de Lacey et fit un signe de tête aux muscles de la femme dans un tu vois, je te l’avais dit.

— Que puis-je vous servir ? demanda la femme avec l’accent australien le plus prononcé que Lacey ait jamais entendu.

Avant que Lacey n’ait pu demander un cortado, Gina lui donna un coup de coude dans les côtes.

— Elle est comme toi ! s’exclama Gina. Une Américaine !

Lacey ne put s’empêcher de rire.

— Hum… non, elle ne l’est pas.

— Je viens d’Australie, corrigea la femme avec bonhomie.

— Vraiment ? demanda Gina, l’air perplexe. Mais vous parlez exactement comme Lacey pour moi.

Le regard de la femme blonde se reposa instantanГ©ment sur Lacey.

— Lacey ? répéta-t-elle, comme si elle avait déjà entendu parler d’elle. Vous êtes Lacey ?

— Euh… ouais… dit Lacey. Il était assez bizarre pour elle que cette étrangère la connaisse, d’une façon ou d’une autre.

— Vous possédez le magasin d’antiquités, c’est ça ? ajouta la femme, en posant le petit bloc-notes qu’elle tenait et en glissant son crayon derrière son oreille. Elle tendit la main.

Encore plus déconcertée, Lacey hocha la tête et prit la main qu’on lui tendait. La femme avait une forte poigne. Lacey se demanda brièvement si les rumeurs par rapport au catch avaient quelque chose de vrai après tout.

— Désolée, mais comment savez-vous qui je suis ? l’interrogea Lacey, alors que la femme levait et baissait vigoureusement le bras avec un large sourire.

— Parce que chaque local qui vient ici et qui se rend compte que je suis une étrangère me parle immédiatement de vous ! Comment vous avez aussi déménagé de l’étranger pour venir ici toute seule. Et comment vous avez créé votre propre magasin à partir de rien. Je pense que tout le Wilfordshire nous encourage à devenir les meilleures amies.

Elle serrait encore vigoureusement la main de Lacey, et quand cette derniГЁre parla, sa voix trembla Г  cause des vibrations.

— Alors vous êtes venue au Royaume-Uni seule ?

Finalement, la femme lГўcha sa main.

— Ouais. J’ai divorcé de mon mari, puis j’ai réalisé que divorcer de lui ne suffisait pas. Vraiment, j’avais besoin d’être de l’autre côté de la planète par rapport à lui.

Lacey ne put s’empêcher de rire.

— Pareil. Enfin, similaire. New York n’est pas exactement autre bout du monde, mais vu comme est le Wilfordshire, parfois on a l’impression que ça pourrait tout aussi bien l’être.

Gina se racla la gorge.

— Je peux avoir un cappuccino et un sandwich au thon ?

La femme sembla se rappeler soudainement que Gina Г©tait lГ .

— Oh. Je suis désolée. Où sont mes bonnes manières ? Elle tendit sa main à Gina. Je suis Brooke.

Gina ne croisa pas son regard. Elle serra mollement la main de Brooke. Lacey perçut les vibrations de jalousie qu’elle émettait et ne put s’empêcher de sourire en son for intérieur.

— Gina est ma partenaire de crime, dit Lacey à Brooke. Elle travaille avec moi dans mon magasin, m’aide à trouver du stock, emmène mon chien pour des sorties, me transmet toute sa sagesse en matière de jardinage, et m’a généralement permis de rester saine d’esprit depuis que je suis arrivée à Wilfordshire.

La moue jalouse de Gina fut remplacГ©e par un sourire penaud.

Brooke sourit.

— J’espère avoir ma propre Gina aussi, plaisanta-t-elle. C’est un plaisir de vous rencontrer toutes les deux.

Elle reprit le crayon derriГЁre son oreille, ce qui permit Г  ses cheveux blonds et lisses de se remettre en place.

— Alors, ce sera un cappuccino et un sandwich au thon… dit-elle en prenant note. Et pour vous ? Elle regarda Lacey, dans l’expectative.

— Un cortado, dit Lacey en regardant le menu. Elle parcourut rapidement tout ce qui était proposé. Il y avait un large éventail de plats à l’air très savoureux, mais en réalité le menu se composait uniquement de sandwiches aux descriptions fantaisistes. Celui au thon que Gina avait commandé était en fait un “croque-monsieur au thon rouge et au cheddar fumé au bois de chêne”. Hum… La baguette à la purée d’avocat.

Brooke nota la commande.

— Et pour vos amis à quatre pattes ? ajouta-t-elle, pointant son crayon entre les épaules de Gina et Lacey vers l’endroit où Boudicca et Chester tournaient en rond dans leur tentative de se renifler l’un l’autre. Un bol d’eau et des croquettes ?

— Ce serait génial, dit Lacey, impressionnée de voir à quel point la femme était arrangeante.

Elle ferait une excellente hôtelière, pensa Lacey. Peut-être travaillait-elle dans l’hôtellerie en Australie ? Ou peut-être était-elle juste gentille. Dans tous les cas, elle avait fait une bonne première impression à Lacey. Peut-être les habitants du Wilfordshire obtiendraient-ils ce qu’ils voulaient et que toutes deux deviendraient de bonnes amies. Lacey avait toujours besoin de plus d’alliés !

Elle et Gina partirent choisir une table. Parmi les meubles de terrasse vintage, elles avaient le choix entre s’asseoir à une table faite d’une porte, avec des trônes réalisés dans des souches d’arbres, ou d’une des alcôves, qui étaient faites de moitié de barques sciées et remplies d’oreillers. Elles choisirent l’option la plus sûre – une table de pique-nique en bois.

— Elle a l’air absolument charmante, dit Lacey en se glissant sur le banc.

Gina haussa les épaules et se laissa tomber sur le banc d’en face.

— Meh. Elle avait l’air d’être OK.

Elle avait recommencГ© Г  bouder jalousement.

— Tu sais que tu es ma préférée, dit Lacey à Gina.

— Pour l’instant. Et quand toi et Brooke deviendrez copines pour parler d’expats ?

— Je peux avoir plus d’un ami.

— Je le sais. C’est juste que, avec qui vas-tu finir par vouloir passer plus de temps ? Quelqu’un de ton âge qui possède un magasin branché, ou quelqu’un d’assez âgé pour être ta mère et qui sent le mouton ?

Lacey ne put s’empêcher de rire, bien que ce soit sans malice. Elle tendit la main à travers la table et serra celle de Gina.

— Je le pensais quand je disais que tu me gardais saine d’esprit. Honnêtement, avec tout ce qui s’est passé avec Iris, la police et les tentatives de Taryn pour me chasser du Wilfordshire, j’aurais vraiment perdu la tête si tu n’avais pas été là. Tu es une bonne amie, Gina, et je ne prends pas ça pour acquis. Je ne vais pas t’abandonner juste parce qu’une ancienne catcheuse à cactus est arrivée en ville. OK ?

— Une ex-catcheuse à cactus ? dit Brooke, apparaissant à côté d’elles en tenant un plateau de cafés et de sandwiches. Vous ne parliez pas de moi, n’est-ce pas ?

Les joues de Lacey chauffГЁrent instantanГ©ment. Cela ne lui ressemblait pas de faire des commГ©rages sur les gens dans leur dos. Elle avait seulement essayГ© de remonter le moral de Gina.

— Ha ! Lacey, ta tête ! s’exclama Brooke en la frappant dans le dos. C’est bon. Ça ne me dérange pas. Je suis fière de mon passé.

— Tu veux dire…

— Ouaip, dit Brooke en souriant. C’est vrai. Il n’y a pas grand-chose à dire, cependant, comme les gens l’ont fait croire. J’ai fait de la lutte au lycée, puis à l’université, avant de faire un an en professionnel. Les Anglais des petites villes doivent trouver ça plus exotique que ça ne l’est.

Lacey se sentait très bête maintenant. Bien sûr, tout pouvait prendre des proportions démesurées et être déformé en passant d’une personne à l’autre dans la chaîne de commérages de la petite ville. Le fait que Brooke ait été lutteuse par le passé était tout autant un non-événement que le fait que Lacey ait travaillé comme assistante d’un décorateur d’intérieur à New York ; normal pour elle, exotique pour tous les autres.

— Maintenant, pour ce qui est de manier les cactus… dit Brooke. Puis elle fit un clin d’œil à Lacey.

Elle transféra les plats du plateau sur la table, alla chercher des bols d’eau et des croquettes pour les chiens, puis laissa Lacey et Gina manger en paix.

Malgré la description excessivement compliquée du menu, les plats étaient en fait formidables. L’avocat était parfaitement mûr, assez ramolli pour perdre sa fermeté mais pas trop au point d’être pâteux. Le pain était frais, aux céréales et bien grillé. En fait, il rivalisait même avec celui de Tom et c’était le plus grand compliment que Lacey pouvait vraiment faire ! Le café était le vrai triomphe cependant. Lacey buvait du thé ces jours-ci, puisqu’on lui en offrait constamment et parce qu’il n’y avait pas un endroit dans les environs qui semblait correspondre à ses normes. Mais le café de Brooke semblait avoir été expédié directement de Colombie ! Lacey se mettrait définitivement à prendre son café du matin ici, les jours où elle commençait à travailler à une heure raisonnable plutôt qu’à un moment où la plupart des gens sains d’esprit sommeillaient encore au lit.

Lacey était à la moitié de son déjeuner lorsque la porte automatique derrière elle s’ouvrit et laissa entrer nul autre que Buck et sa stupide femme. Lacey grommela.

— Hey, poupée, dit Buck, en claquant des doigts vers Brooke et en se laissant tomber sur un siège dans un bruit sourd. On a besoin de café. Et je vais prendre un steak frites. Il pointa le plateau de la table d’une manière exigeante, puis regarda sa femme. Daisy ? Qu’est-ce que tu veux ?

La femme hésitait à la porte sur ses talons aiguilles, l’air quelque peu terrifié par tous les cactus.

— Je prendrai juste ce qui contient le moins de glucides, murmura-t-elle.

— Une salade pour la madame, aboya Buck à Brooke. Doucement sur la vinaigrette.

Brooke jeta un regard Г  Lacey et Gina, puis partit prГ©parer les commandes de ses grossiers clients.

Lacey plongea son visage dans ses mains. Elle se sentait indirectement gГЄnГ©e pour le couple. Elle espГ©rait vraiment que les gens du Wilfordshire ne pensaient pas que tous les AmГ©ricains Г©taient ainsi. Buck et Daisy donnaient une mauvaise rГ©putation Г  son pays tout entier.

— Super, murmura Lacey tandis que Buck commençait à parler à sa femme. Ces deux-là ont gâché mon rendez-vous pour le thé avec Tom. Maintenant, ils ruinent ma pause déjeuner avec toi.

Gina n’avait pas l’air impressionnée par cette paire.

— J’ai une idée, dit-elle.

Elle se pencha et chuchota à Boudicca quelque chose qui lui fit agiter les oreilles. Puis elle libéra la chienne de sa laisse. Elle se mit à courir à travers les salons de thé, sauta à la table et saisit le steak dans l’assiette de Buck.

— HEY ! brailla-t-il.

Brooke ne put s’en empêcher. Elle éclata de rire.

Lacey poussa un cri, amusГ©e par les facГ©ties de Gina.

— Apportez-m’en un autre, exigea Buck. Et faites SORTIR ce chien.

— Je suis désolée, mais c’était mon dernier steak, dit Brooke, faisant un clin d’œil subtil à Lacey.

Le couple souffla et partit en trombe.

Les trois femmes Г©clatГЁrent de rire.

— Ce n’était pas du tout ton dernier, n’est-ce pas ? demanda Lacey.

— Non, dit Brooke en riant. J’ai un congélateur entier rempli de ces trucs !



*



La journée de travail touchait à sa fin et Lacey avait terminé l’évaluation de tous les articles de la marine pour la vente aux enchères du lendemain. Elle était si excitée.

Enfin, jusqu’à ce que la cloche tinte et que Buck et Daisy fassent irruption à l’intérieur.

Lacey gémit. Elle n’était pas aussi calme que Tom, et elle n’était pas aussi joviale que Brooke. Elle ne pensait vraiment pas que cette rencontre se passerait bien.

— Regarde tout ce bazar, dit Buck à sa femme. Quel tas de bibelots. Pourquoi as-tu voulu venir ici, Daisy ? Et ça sent. Ses yeux se posèrent sur Chester. C’est encore ce sale chien !

Lacey serra les dents si fort qu’elle s’attendait presque à ce qu’elles craquent. Elle essaya de faire appel au calme de Tom tout en s’approchant du couple.

— J’ai bien peur que Wilfordshire soit une très petite ville, dit-elle. Vous allez rencontrer les mêmes personnes – et les mêmes chiens – tout le temps.

— C’est vous, demanda Daisy. Elle reconnaissait visiblement Lacey de leurs deux précédentes prises de bec. C’est votre magasin ? Elle avait une voix d’écervelée, comme une paysanne idiote.

— C’est moi, confirma Lacey, de plus en plus méfiante. La question de Daisy avait l’air piège, comme une accusation.

— Quand j’ai entendu votre accent dans la pâtisserie, j’ai pensé que vous étiez une cliente, continua Daisy. Mais vous vivez vraiment ici ? Elle fit une grimace. Qu’est-ce qui vous a donné envie de quitter l’Amérique pour ça ?

Lacey sentit tous les muscles de son corps se tendre. Son sang commença à bouillir.

— Probablement pour les mêmes raisons qui vous ont poussé à venir en vacances ici, répondit Lacey d’une voix très calme. La plage. L’océan. La campagne. L’architecture charmante.

— Daisy, aboya Buck. Est-ce que tu peux te dépêcher de trouver cette chose pour laquelle tu m’as traîné ici ?

Daisy jeta un coup d’œil au comptoir.

— Ça a disparu. Elle regarda Lacey. Où est le truc en laiton qui était là avant ?

Le truc en laiton ? Lacey repensa aux objets sur lesquels elle travaillait avant l’arrivée de Gina.

Daisy poursuivit :

— C’est comme une sorte de boussole, avec une longue vue attachée. Pour les bateaux. Je l’ai vu par la fenêtre quand le magasin était fermé pendant le déjeuner. Vous l’avez déjà vendu ?

— Vous voulez dire le sextant ? demanda-t-elle, fronçant les sourcils de confusion sur ce qu’une blonde comme Daisy pourrait vouloir faire d’un sextant ancien.

— C’est ça ! s’exclama Daisy. Un sextant.

Buck s’esclaffa. De toute évidence, le nom l’amusait.

— Tu n’as pas assez de sextants à la maison ? lança-t-il.

Daisy gloussa, mais cela parut forcГ© Г  Lacey, moins comme si elle Г©tait amusГ©e et plus comme si elle Г©tait juste conciliante.

Lacey elle-même n’était pas amusée. Elle croisa les bras et leva les sourcils.

— J’ai bien peur que le sextant ne soit pas à vendre, expliqua-t-elle, en se concentrant sur Daisy plutôt que sur Buck, qui lui rendait la tâche très difficile pour rester aimable. Tous mes objets de la Marine seront mis aux enchères demain, donc il n’est pas à vendre au magasin.

Daisy fit la moue.

— Mais je le veux. Buck paiera le double de ce qu’il vaut. N’est-ce pas, Bucky ? Elle tira sur son bras.

Avant que Buck n’ait pu répondre, Lacey l’interrompit.

— Non, je suis désolée, ce n’est pas possible. Je ne sais pas combien je vais en tirer. C’est tout l’intérêt de la vente aux enchères. C’est une pièce rare, et il y a des spécialistes qui viennent de tout le pays juste pour enchérir dessus. Le prix pourrait être n’importe lequel. Si je vous le vends maintenant, je risque d’y perdre, et comme les bénéfices vont à une œuvre de charité, je veux m’assurer de faire la meilleure affaire.

Un profond sillon apparut sur le front de Buck. À cet instant, Lacey se sentit encore plus consciente de la taille et de la largeur de l’homme. Il mesurait bien plus d’un mètre quatre-vingt et était plus épais que deux Lacey réunies, comme un gros chêne. Il était intimidant, tant par sa taille que par ses manières.

— Vous n’avez pas entendu ce que ma femme a dit ? aboya-t-il. Elle veut acheter votre truc, alors donnez votre prix.

— Je l’ai entendue, répondit Lacey tenant bon. C’est moi qui ne suis pas écoutée. Le sextant n’est pas à vendre.

Elle avait l’air bien plus sûre d’elle qu’elle ne l’était. Une petite alarme se mit à retentir au fond de son esprit, lui disant qu’elle se jetait tête la première dans une situation dangereuse.

Buck fit un pas en avant, son ombre menaçante s’étendant sur elle. Chester se leva d’un bond et grogna en réponse, mais Buck n’était visiblement pas perturbé et l’ignora tout simplement.

— Vous me refusez la vente ? dit-il. Ce n’est pas illégal ? Notre argent n’est-il pas assez bon pour vous ? Il sortit un tas d’argent de sa poche et l’agita sous le nez de Lacey d’une manière vraiment menaçante. Il y a le visage de la Reine dessus et tout. Ce n’est pas suffisant pour vous ?

Chester se mit à aboyer furieusement. Lacey lui fit signe d’arrêter, ce qu’il fit, avec obéissance, mais il garda sa position comme s’il était prêt à attaquer à la seconde où elle lui donnerait le feu vert.

Lacey croisa les bras et se tint prête au combat face à Buck, consciente de chaque centimètre qu’il avait en plus, mais déterminée à tenir bon. Elle n’allait pas se faire intimider pour vendre le sextant. Elle n’allait pas laisser cet homme méchant et imposant l’intimider et gâcher la vente aux enchères pour laquelle elle avait travaillé si dur et qu’elle attendait avec tant impatience.

— Si vous voulez acheter le sextant, alors vous devrez venir à la vente aux enchères et enchérir dessus, dit-elle.

— Oh, je le ferai, dit Buck en plissant les yeux. Il pointa du doigt droit vers le visage de Lacey. Vous pouvez y compter. Notez mes paroles. Buckland Stringer va gagner.

Sur ce, le couple quitta le magasin si vite qu’ils laissèrent pratiquement des tourbillons dans leur sillage. Chester courut à la fenêtre, posa ses pattes avant contre la vitre et grogna dans leurs dos qui battaient en retraite. Lacey les regarda partir aussi, jusqu’à ce qu’ils soient hors de vue. Ce n’est qu’alors qu’elle remarqua à quel point son cœur battait la chamade et à quel point ses jambes tremblaient. Elle s’agrippa au comptoir pour se stabiliser.

Tom avait eu raison. Elle s’était porté la poisse en disant que le couple n’avait aucune raison de venir dans son magasin. Mais on pouvait lui pardonner d’avoir supposé qu’il n’y avait rien d’intéressant pour eux ici. Personne n’aurait pu deviner en la regardant que Daisy avait le moindre désir de posséder un ancien sextant de la Marine !

— Oh, Chester, dit Lacey en posant la tête sur son poing. Pourquoi leur ai-je parlé de la vente aux enchères ?

Le chien gГ©mit, dГ©celant la note de regret lugubre dans son ton.

— Maintenant, je vais devoir les supporter demain aussi ! s’exclama-t-elle. Et quelle est la probabilité qu’ils connaissent l’étiquette des enchères ? Ça va être un désastre.

Et juste comme ça, son excitation pour sa vente aux enchères du lendemain fut douchée comme une flamme entre les doigts. À la place, Lacey n’éprouvait que de la crainte.




CHAPITRE QUATRE


Après sa rencontre avec Buck et Daisy, Lacey était plus que prête à fermer pour la journée et à rentrer chez elle. Tom venait ce soir cuisiner pour elle, et elle avait vraiment hâte de se blottir sur le canapé avec un verre de vin et un film. Mais il restait la caisse à contrôler, le stock à ranger, le plancher à balayer et la machine à café à nettoyer… Non pas que Lacey se plaigne. Elle aimait son magasin et tout ce qui allait avec le fait de le posséder.

Quand elle eut enfin terminé, elle se dirigea vers la sortie, Chester sur ses talons, remarquant que les aiguilles de l’horloge en fer forgé avaient atteint 19 heures, et qu’il faisait nuit dehors. Bien que le printemps ait apporté de plus longues journées avec lui, Lacey n’en avait encore jamais profité. Mais elle pouvait sentir le changement dans l’atmosphère ; la ville semblait plus vivante, avec de nombreux cafés et pubs ouverts plus longtemps, et les gens assis aux tables à l’extérieur buvant du café et de la bière. Cela donnait à l’endroit une atmosphère festive.

Lacey ferma son magasin à clé. Elle était devenue encore plus attentive depuis l’effraction, mais même si cela ne s’était jamais produit, elle le serait devenue, parce que le magasin lui semblait être son enfant désormais. C’était quelque chose qui avait besoin d’être nourri, protégé et soigné. En si peu de temps, elle était tombée complètement amoureuse de l’endroit

— Qui aurait cru qu’on pouvait tomber amoureux d’un magasin ? dit-elle à voix haute avec un profond soupir de satisfaction face à la tournure qu’avait prise sa vie.

De son cГґtГ©, Chester geignit.

Lacey lui tapota la tГЄte.

— Oui, je suis amoureuse de toi aussi, ne t’inquiète pas !

À la mention de l’amour, elle se souvint des projets qu’elle avait avec Tom ce soir-là, et jeta un regard à sa pâtisserie.

À sa grande surprise, elle vit que toutes les lumières étaient allumées. C’était très inhabituel. Tom devait ouvrir son magasin à l’heure inhumaine de 5 heures du matin pour s’assurer que tout soit prêt pour la cohue du petit-déjeuner à 7 heures, ce qui signifiait qu’il fermait habituellement à 17 heures pile. Mais il était 19 h et il était manifestement encore à l’intérieur. Le panneau des sandwichs était toujours dehors. Celui de la porte était encore tourné sur “Ouvert”.

— Allez, Chester, dit Lacey à son compagnon à fourrure. Allons voir ce qu’il se passe.

Ils traversГЁrent la rue ensemble et entrГЁrent dans la pГўtisserie.

Tout de suite, Lacey put entendre un bruit venant de la cuisine. Cela ressemblait aux bruits habituels de casseroles qui s’entrechoquent, mais en accéléré.

— Tom ? cria-t-elle un peu nerveusement.

— Hey !

Sa voix désincarnée provenait de l’arrière-cuisine. Il utilisait son habituel ton jovial.

Maintenant que Lacey savait qu’il n’était pas en train de se faire cambrioler par un voleur de macaron, elle se détendit. Elle sauta sur son tabouret habituel, tandis que le cliquetis continuait.

— Tout va bien là-bas ? demanda-t-elle.

— Ça va ! cria Tom en réponse.

Un moment plus tard, il apparut finalement dans l’arcade de la kitchenette. Il portait son tablier, et celui-ci – ainsi que la plupart de ses vêtements en dessous et ses cheveux – étaient couverts de farine.

— Il y a eu un désastre mineur.

— Mineur ? gloussa Lacey. Maintenant qu’elle savait que Tom ne se battait pas contre un intrus dans la cuisine, elle pouvait apprécier le comique de la situation.

— C’était Paul, en fait, commença Tom.

— Qu’est-ce qu’il a fait encore ? demanda Lacey. Elle se souvenait de la fois où le stagiaire de Tom avait accidentellement utilisé du bicarbonate de soude au lieu de la farine pour un lot de pâte, rendant la totalité de celle-ci inutilisable.

Tom leva deux paquets blancs d’apparence presque identique. Sur la gauche, l’étiquette imprimée et délavée indiquait : sucre. À droite : sel.

— Ah, dit Lacey.

Tom fit un signe de tГЄte.

— Ouais. C’est pour la fournée des pâtisseries du petit-déjeuner de demain matin. Je vais devoir tout refaire, ou risquer la colère des locaux quand ils arriveront pour le petit-déjeuner et découvriront que je n’ai rien à leur vendre.

— Est-ce que ça veut dire que tu annules nos plans pour ce soir ? demanda Lacey. L’humour qu’elle avait ressenti quelques instants plus tôt fut brusquement anéanti, et maintenant à sa place, elle ressentait une profonde déception.

Tom lui lança un regard plein d’excuses.

— Je suis vraiment désolée. Reprogrammons-le. Demain ? Je viendrai et je cuisinerai pour toi.

— Je ne peux pas, répondit Lacey. J’ai cette réunion avec Ivan demain.

— La réunion pour la vente de Crag Cottage, dit Tom en claquant des doigts. Bien sûr. Je me souviens. Et mercredi soir ?

— Tu ne vas pas à ce cours de focaccia mercredi ?

Tom avait l’air perturbé. Il vérifia le calendrier accroché, puis poussa un soupir.

— OK, c’est mercredi prochain. Il gloussa. Tu m’as fait peur. Oh, mais je suis occupé mercredi soir de toute façon. Et jeudi…

— …c’est entraînement de badminton, termina Lacey pour lui.

— Ce qui veut dire que mon prochain jour de libre sera vendredi. Vendredi, c’est bon ?

Son ton était aussi joyeux que d’habitude, nota Lacey, mais son attitude blasée à l’idée d’annuler leurs plans ensemble la blessa. Il ne semblait pas du tout s’inquiéter du fait qu’ils ne pourraient peut-être pas se voir dans un cadre romantique avant la fin de la semaine.

Lacey savait bien qu’elle n’avait rien de prévu vendredi, mais elle s’entendit quand même dire :

— Je vais devoir vérifier mon agenda et te rappeler.

Et à peine les mots avaient-ils quitté ses lèvres qu’une nouvelle émotion se glissa dans son estomac, se mêlant à la déception. À la surprise de Lacey, cette émotion était le soulagement.

Soulagement qu’elle ne puisse pas avoir de rendez-vous romantique avec Tom pendant une semaine ? Elle ne comprenait pas bien d’où venait ce soulagement, et cela la faisait se sentir soudainement coupable.

— Bien sûr, dit Tom, qui apparemment ne s’en rendit pas compte. On peut mettre un terme à tout ça pour l’instant et s’arranger pour faire quelque chose de spécial la prochaine fois, quand on sera moins occupés ? Il fit une pause pour la laisser répondre, et quand elle ne dit rien, il ajouta :

— Lacey ?

Elle reprit ses esprits.

— Oui… Bien. Ça sonne bien.

Tom s’approcha et s’appuya sur ses coudes sur le comptoir, de sorte que leurs visages soient au même niveau.

— Maintenant. Question sérieuse. Est-ce que ça va aller pour la cuisine ce soir ? Parce qu’évidemment, tu t’attendais à un repas savoureux et nourrissant. J’ai des pâtés à la viande qui ne se sont pas vendus aujourd’hui, si tu veux en emporter un chez toi ?

Lacey gloussa et lui tapa sur le bras.

— Je n’ai pas besoin de ton aumône, merci beaucoup ! Je te ferai savoir que je peux vraiment cuisiner !

— Oh vraiment ? se moqua Tom.

— Je suis connue pour avoir fait un plat ou deux de mon temps, lui dit Lacey. Risotto aux champignons. Paella aux fruits de mer. Elle se creusa la tête pour ajouter au moins une autre chose, car tout le monde savait qu’il en fallait au moins trois pour faire une liste ! Hum… hum…

Tom leva les sourcils.

— Continue… ?

— Macaroni au fromage ! s’exclama Lacey.

Tom rit de bon cЕ“ur.

— C’est un répertoire assez impressionnant. Et pourtant, je n’ai jamais vu de preuves pour étayer ter affirmations.

Il avait raison à ce sujet. Jusqu’à présent, Tom avait préparé tous les repas pour eux. C’était logique. Il adorait cuisiner, et il avait les compétences pour réussir son coup. Les talents culinaires de Lacey ne lui permettaient guère plus que de percer le film plastique d’un plat micro-ondable.

Elle croisa les bras.

— Je n’en ai pas encore eu l’occasion, répondit-elle, sur le même ton d’argumentateur taquin que Tom, dans l’espoir de masquer l’irritation réelle que son commentaire avait suscitée en elle. Monsieur le chef pâtissier étoilé ne me fait pas confiance aux fourneaux.

— Dois-je prendre ça comme une offre ? demanda Tom, en remuant ses sourcils.

Satanée fierté, pensa Lacey. Elle s’était jetée droit dans celle-là. Bonne façon de tendre un piège.

— Tu ferais mieux, dit-elle, feignant l’assurance. Elle lui tendit la main pour la serrer. Défi accepté.

Tom regarda sa main sans bouger, en tordant ses lГЁvres sur le cГґtГ©.

— Il y a une condition, cependant.

— Oh ? Qu’est-ce que c’est ?

— Il faut que ce soit quelque chose de traditionnel. Quelque chose d’originaire de New York.

— Dans ce cas, tu viens de me faciliter grandement la tâche, s’exclama Lacey. Parce que ça veut dire que je vais faire une pizza et un cheesecake.

— Rien ne peut être acheté en magasin, ajouta Tom. Tout doit être fait à partir de rien. Et pas d’aide en douce. On ne demande pas de pâte à Paul.

— Oh s’il te plaît, dit Lacey, en montrant le sac de sel abandonné sur le comptoir. Paul est la dernière personne que j’engagerais pour m’aider à tricher.

Tom rit. Lacey rapprocha sa main tendue de lui. Il fit un signe de tête pour indiquer qu’il était satisfait qu’elle remplisse les conditions, puis il prit sa main. Mais au lieu de la serrer, il lui donna une petite tape, la rapprochant de lui, et l’embrassa au-dessus du comptoir.

— Je te verrai demain, murmura Lacey, le frisson de ses lèvres faisant écho aux siennes. À travers la fenêtre, je veux dire. À moins que tu aies le temps de venir à la vente aux enchères ?

— Bien sûr que je viens à la vente aux enchères, lui dit Tom. J’ai raté la dernière. Il faut que je sois là pour te soutenir.

Elle sourit.

— Super.

Elle tourna et se dirigea vers la sortie, laissant Tom Г  son chaos de pГўtisseries.

DГЁs que la porte de la pГўtisserie se referma derriГЁre elle, elle regarda Chester.

— Je me suis vraiment mise dans le pétrin maintenant, dit-elle à son chien à l’air perspicace. Vraiment, tu aurais dû m’arrêter. Tirer sur ma manche. Me pousser avec ton nez. N’importe quoi. Mais maintenant, je dois faire de la pizza à partir de rien. Et un cheesecake ! Zut. Elle avait éraflé sa chaussure sur le trottoir dans une fausse frustration. Viens, on va devoir faire des courses avant de rentrer à la maison.

Lacey tourna dans la direction opposée à chez elle et se précipita dans la rue principale vers l’épicerie (ou le magasin du coin, comme Gina s’obstinait à l’appeler). En y allant, elle mit un message sur le fil de discussion des Doyle Girlz.

Quelqu’un sait comment faire un cheesecake ?

C’était sûrement le genre de choses que sa mère saurait faire, non ?

Il ne fallut pas longtemps avant qu’elle entende son portable sonner, et elle regarda qui avait répondu. Malheureusement, c’était sa petite sœur notoirement sarcastique, Naomi.

Tu ne le fais pas, blagua sa sœur. Tu l’achètes tout fait et t’évites les embêtements.

Lacey trouva rapidement une rГ©ponse.

Ça n’aide pas, sœurette.

La réponse de Naomi arriva à la vitesse de l’éclair.

Si tu poses des questions stupides, attends-toi Г  des rГ©ponses stupides.

Lacey leva les yeux au ciel et se dГ©pГЄcha.

Heureusement, quand Lacey arriva au magasin, sa mГЁre lui envoya un message avec une recette.

C’est celle de Martha Stewart, écrit-elle. Tu peux lui faire confiance.

Lui faire confiance ? écrivit Naomi en réponse. Elle n’est pas allée en prison ?

Oui, répondit leur mère. Mais ça n’avait rien à voir avec sa recette de cheesecake.

TouchГ©, rГ©pondit Naomi.

Lacey rit. Sa mГЁre avait en fait surpassГ© Naomi !

Elle rangea son téléphone, attacha la laisse de Chester autour du lampadaire, puis entra dans le magasin bien éclairé. Elle se dépêcha de remplir son panier de tout ce dont Martha Stewart lui avait dit qu’elle avait besoin, puis pour elle-même s’empara d’un sac linguine précuites et d’un petit pot de sauce préparée (qui se trouvait dans le réfrigérateur juste à côté), ainsi que de parmesan râpé (situé à côté de la sauce), avant de prendre finalement la bouteille de vin qui se trouvait en dessous et qui proclamait : Parfait avec les linguine !

Pas étonnant que je n’aie jamais vraiment appris à cuisiner, pensa Lacey. Regarde comme ils rendent les choses faciles.

Elle alla à la caisse, paya pour ses courses, puis partit, récupérant Chester en sortant. Ils retournèrent devant son magasin – elle remarqua que Tom était juste là où elle l’avait laissé – et récupérèrent la voiture dans la rue latérale où Lacey s’était garée.

Le trajet jusqu’à Crag Cottage était bref, le long du bord de mer puis à flanc de falaise. Chester resta assis, alerte, sur le siège passager à côté d’elle, et lorsque la voiture franchit la colline, Crag Cottage apparut. Un sentiment de joie s’empara de Lacey. Pour elle, le cottage était vraiment comme sa maison. Et après la rencontre du lendemain avec Ivan, elle serait peut-être un peu plus près d’en devenir la propriétaire officielle.

À ce moment-là, elle remarqua la lueur chaleureuse d’un feu de joie venant de la direction du cottage de Gina, et décida de passer devant sa maison et de suivre le chemin cahoteux à voie unique qui mène à sa voisine.

Alors qu’elle s’arrêtait, elle put voir la femme qui se tenait dans ses bottes en caoutchouc à côté du feu, auquel elle ajoutait des feuilles. Le feu était très joli dans la lumière sombre de cette soirée printanière.

Lacey klaxonna et baissa la vitre.

Gina se retourna et fit signe de la main.

— Hey-ho Lacey. Tu as besoin de brûler quelque chose ?

Lacey se pencha Г  la fenГЄtre, sur ses coudes.

— Non. Je me demandais juste si tu voulais de l’aide ?

— Je pensais que tu avais un rendez-vous avec Tom ce soir ? demanda Gina.

— C’était le cas, lui dit Lacey, sentant cet étrange mélange de déception et de soulagement se mélanger à nouveau dans ses tripes. Mais il a annulé. Une urgence liée à la pâtisserie.

— Ah, dit Gina. Elle jeta une autre branche d’arbre sur le feu de joie, faisant voler des étincelles rouges, oranges et jaunes. Eh bien, tout est sous contrôle ici, merci. À moins que tu n’aies des marshmallows à faire griller ?

— Mince, non, je n’en ai pas. Ça a l’air sympa ! Et je viens juste d’aller faire des courses !

Elle dГ©cida de mettre son manque de guimauves sur le compte de Martha Stewart et de sa recette de cheesecake Г  la vanille extrГЄmement raisonnable.

Lacey était sur le point de souhaiter une bonne nuit à Gina et de faire demi-tour pour revenir sur ses pas, quand elle sentit Chester la pousser du nez. Elle se retourna et le regarda. Les sacs à provisions qu’elle avait placés dans l’espace pour les jambes s’étaient ouverts et certains des articles qu’elle avait apportés en étaient tombés.

— C’est une idée… Lacey dit. Elle regarda de nouveau par la fenêtre. Hey, Gina. Et si on dînait ensemble ? J’ai du vin et des pâtes. Et tous les ingrédients pour faire l’authentique cheesecake new-yorkais de Martha Stewart si on s’ennuie et qu’on a besoin d’une activité.

Gina avait l’air ravie.

— Tu m’as eu au vin ! s’exclama-t-elle.

Lacey rit. Elle descendit pour aller rГ©cupГ©rer les sacs cГґtГ© passager, et gagna un autre coup de truffe mouillГ©e de Chester.

— Qu’est-ce qu’il y a encore ? lui demanda-t-elle.

Il pencha la tête sur le côté, ses sourcils touffus s’élevant vers le haut.

— Oh. J’ai compris, dit Lacey. Je t’ai déjà grondé pour ne pas m’avoir empêché de mettre les pieds dans le plat plus tôt avec Tom. Tu prouves quelque chose, n’est-ce pas, que tout a quand même fonctionné ? Eh bien, je te l’accorde.

Il gГ©mit.

Elle gloussa et lui caressa la tГЄte.

— Petit futé.

Elle sortit de la voiture, Chester bondissant aprГЁs elle, et remonta le chemin de Gina, Г©vitant les moutons et les poulets Г©parpillГ©s partout.

Elles entrГЁrent.

— Alors que s’est-il passé avec Tom ? lui demanda Gina en marchant le long du couloir au plafond bas vers sa rustique cuisine de campagne.

— C’est Paul en fait, expliqua Lacey. Il a mélangé les farines ou quelque chose comme ça.

Elles entrГЁrent dans la cuisine trГЁs vivement Г©clairГ©e, et Lacey posa les sacs de courses sur le plan de travail.

— Il est temps qu’il vire ce Paul, dit Gina avec un tsss.

— C’est un apprenti, lui dit Lacey. Il est censé faire des erreurs !

— Bien sûr. Mais ensuite il est censé apprendre d’elles. Combien de fournées de pâtisseries a-t-il gâchées maintenant ? Et que cela ait un impact sur vos projets, c’est vraiment le bouquet.

Lacey sourit Г  la phrase amusante de Gina.

— Honnêtement, c’est bon, dit-elle en sortant tous les articles du sac. Je suis une femme indépendante. Je n’ai pas besoin de voir Tom tous les jours.

Gina prit des verres Г  vin et leur versa chacune un verre, puis elles commencГЁrent Г  prГ©parer le dГ®ner.

— Tu ne croiras jamais qui est venu dans mon magasin avant la fermeture aujourd’hui, dit Lacey en remuant les pâtes dans leur casserole d’eau frémissante. Les instructions disaient qu’il n’était pas nécessaire de remuer pendant les quatre minutes d’ébullition, mais cela semblait trop paresseux, même pour Lacey !

— Pas les Américains ? demanda Gina sur un ton de dégoût, en plaçant la sauce tomate dans le micro-ondes pendant les deux minutes nécessaires pour la réchauffer.

— Si. Les Américains.

Gina frissonna.

— Oh, mon Dieu. Que voulaient-ils ? Laisse-moi deviner, Daisy voulait que Buck lui achète un bijou hors de prix ?

Lacey Г©goutta les pГўtes dans une passoire, puis les rГ©partit dans deux bols.

— C’est ça le truc. Daisy voulait que Buck lui achète quelque chose. Le sextant.

— Le sextant ? demanda Gina en versant la sauce tomate sur les pâtes sans élégance. Comme l’instrument naval ? Pourquoi une femme comme Daisy voudrait-elle d’un sextant ?

— N’est-ce pas ? C’est exactement ce que j’ai pensé ! Lacey saupoudra des copeaux de parmesan sur son monticule de pâtes.

— Peut-être qu’elle l’a juste choisi au hasard, se dit Gina en tendant à Lacey une des deux fourchettes qu’elle avait récupérées dans le tiroir à couverts.

— Elle a été très précise à ce sujet, continua Lacey. Elle porta sa nourriture et son vin vers la table. Elle voulait l’acheter et bien sûr, je lui ai dit qu’elle devait venir à la vente aux enchères. Je pensais qu’elle laisserait tomber, mais non. Elle a dit qu’elle serait là. Alors maintenant, je dois les supporter à nouveau demain. Si seulement j’avais rangé ce fichu objet plutôt que de l’avoir laissé visible depuis la fenêtre pendant le déjeuner !

Elle leva les yeux lorsque Gina prit sa place en face, pour voir que sa voisine avait l’air plutôt bouleversée tout d’un coup. Elle ne semblait pas non plus avoir quelque chose à ajouter à ce que Lacey avait dit, ce qui était extrêmement inhabituel pour une femme habituellement bavarde.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Lacey. Qu’est-ce qui ne va pas ?

— Eh bien, c’est moi qui t’ai convaincu que fermer boutique pour le déjeuner ne ferait pas de mal, marmonnait Gina. Mais ça a été le cas. Parce que ça a donné à Daisy la chance de voir le sextant ! C’est de ma faute.

Lacey rit.

— Ne sois pas bête. Allez, mangeons avant que ça refroidisse et que tous nos efforts ne soient gâchés.

— Attends. On a besoin d’une autre chose. Gina alla jusqu’à ses pots d’herbes aromatiques alignés sur le rebord de la fenêtre et cueillit quelques feuilles dans l’un d’eux. Du basilic frais ! Elle posa un brin sur chacun de leurs bols de pâtes mal présentées et visqueuses. Et voilà !

Malgré sa gaieté bon marché, c’était en fait un repas très savoureux. Mais d’un autre côté, la plupart des aliments prêts à l’emploi sont remplis de graisse et de sucre, alors il fallait bien que ce soit le cas !

— Suis-je un substitut assez décent pour Tom ? demanda Gina pendant qu’elles mangeaient et buvaient du vin.

— Tom qui ? plaisanta Lacey. Oh, tu viens de me le rappeler ! Tom m’a plus ou moins mise au défi de lui préparer un repas à partir de rien. Quelque chose de typique de New York. Donc je fais un cheesecake pour le dessert. Ma mère m’a envoyé une recette de Martha Stewart. Tu veux m’aider à la faire ?

— Martha Stewart, dit Gina en secouant la tête. J’ai une bien meilleure recette.

Elle alla jusqu’au placard et commença à fouiller. Puis elle sortit un livre de cuisine usé.

— C’était la fierté et la joie de ma mère, dit-elle en le posant sur la table devant Lacey. Elle a collectionné des recettes pendant des années. J’ai ici des coupures de presse remontant jusqu’à la guerre.

— Incroyable, s’exclama Lacey. Mais comment se fait-il que tu n’aies jamais appris à cuisiner, si tu avais une experte à la maison ?

— Parce que, dit Gina, j’étais bien trop occupée à aider mon père à faire pousser des légumes dans le jardin. J’étais un vrai garçon manqué. Une fille à papa. Une de ces filles qui aiment se salir les mains.

— Eh bien, la pâtisserie peut définitivement faire ça, dit Lacey. Tu aurais dû voir Tom juste avant. Il était couvert de farine de la tête aux pieds.

Gina rit.

— Je voulais dire que j’aimais me couvrir de boue ! Jouer avec les insectes. Grimper aux arbres. Pêcher. La cuisine m’a toujours semblé trop féminine à mon goût.

— Mieux vaut ne pas dire ça à Tom, gloussa Lacey. Elle regarda le livre de recettes. Alors, tu veux m’aider à faire le cheesecake ou il n’y a pas assez de vers pour que tu t’y intéresses ?

— Je vais t’aider, dit Gina. On peut utiliser des œufs frais. Daphné et Delilah ont toutes les deux pondu ce matin.

Elles firent la vaisselle de leur dГ®ner et se mirent au travail sur le cheesecake, en suivant la recette de la mГЁre de Gina plutГґt que celle de Martha.

— Donc, à part les Américains, tu es excitée par la vente aux enchères de demain ? demanda Gina en écrasant des biscuits dans un bol avec un moulin à pommes de terre.

— Excitée. Nerveuse. Lacey fit tourner le vin dans son verre. Surtout nerveuse. Me connaissant, je ne vais pas fermer l’œil cette nuit à m’inquiéter pour tout ça.

— J’ai une idée, dit Gina à ce moment-là. Une fois qu’on aura fini ici, on devrait aller promener les chiens sur le front de mer. On peut prendre le chemin de l’est. Tu ne l’as pas encore pris, n’est-ce pas ? L’air de la mer te fatiguera et tu dormiras comme un bébé, crois-moi.

— C’est une bonne idée, convint Lacey. Si elle rentrait chez elle maintenant, elle ne ferait que se tracasser.

Tandis que Lacey mettait le cheesecake inégal au frigo pour le refroidir, Gina se dépêcha d’aller chercher les deux imperméables dans la buanderie. Il faisait encore assez froid le soir, surtout au bord de la mer où il y avait plus de vent.

L’énorme manteau de pêcheur imperméable recouvrait Lacey. Mais elle en fut ravie quand elles sortirent. C’était une soirée fraîche et claire.

Elles descendirent les marches de la falaise. La plage était déserte et assez sombre. C’était assez exaltant d’être ici alors que c’était si vide, pensa Lacey. C’était comme si elles étaient seules au monde.

Elles se dirigèrent vers la mer, puis tournèrent pour suivre la direction de l’est que Lacey n’avait pas encore eu l’occasion de parcourir. C’était amusant d’explorer un nouvel endroit. Être dans une petite ville comme Wilfordshire était parfois un peu étouffant.

— Hé, qu’est-ce que c’est ? demanda Lacey en regardant de l’autre côté de l’eau ce qui semblait être la silhouette d’un bâtiment sur une île.

— Des ruines médiévales, dit Gina. À marée basse, il y a un banc de sable que tu peux longer pour les atteindre. Ça vaut le coup d’aller y jeter un coup d’œil si on se lève aussi tôt.

— À quelle heure est la marée basse ? demanda Lacey.

— 5 heures du matin.

— Aïe. C’est probablement un peu trop tôt pour moi.

— Tu peux aussi y aller en bateau, bien sûr, expliqua Gina. Si tu connais quelqu’un qui en possède un. Mais si tu es coincée là-bas, il te faut appeler le bateau des sauveteurs bénévoles et ces gars n’apprécient pas d’utiliser leurs moyens pour des gens inconscients, crois-moi ! Je l’ai déjà fait avant et j’ai eu une conversation assez sévère de leur part. Heureusement, mon don pour le bavardage les a tous fait rire le temps qu’on atteigne la rive, et on est tous en bons termes maintenant.




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